dimanche 30 janvier 2011

Audit du Processus électoral en 2010: Faiblesses du Fichier électoral et de la Biométrie, Limites de la Mission, Cent Huit (108) Recommandations.

Audit du Processus électoral en 2010: Faiblesses du Fichier électoral et de la Biométrie, Limites de la Mission, Cent Huit (108) Recommandations.

L’audit indépendant du processus électoral sénégalais par des experts internationaux vient de s’achever. Le jeudi 28 janvier 2010, le rapport global de la mission avec les constats sur les faiblesses du processus électoral ainsi que les cent huit (108) recommandations à mettre en œuvre, a été remis solennellement au Président de la République. Par cet acte solennel, le rapport global de la mission relève désormais du domaine public et doit être diffusé conformément aux engagements pris par l’Etat du Sénégal, pour permettre aux citoyens de bénéficier d’une information juste et objective, leur évitant d’être les victimes d’opérations de manipulation et de désinformation politique. Certaines des recommandations de la mission d’audit, comme la suppression de la compétence nationale des commissions administratives d’inscription et de révision, nécessitent une modification du code électoral. A ce jour, aucune information publique ne prévoit une convocation du Parlement pour une modification de la loi électorale. De la même façon, bien que le décret n° 2010-1776 de sa création soit signé depuis le 30 décembre 2010, le comité de veille chargé du suivi de ces recommandations, installé le 11 janvier 2011, n’est pas encore opérationnel, en raison d’une absence de consensus sur le choix de son président.

Mais, avant même que ce rapport ne soit envoyé comme prévu à tous les acteurs impliqués dans le processus électoral par les autorités contractantes de l’Union Européenne et de l’Usaid, des affirmations sur la fiabilité du fichier électoral sont savamment distillées dans la presse, alors que sont volontairement occultées les faiblesses majeures décelées sur le processus électoral par les experts, ainsi que les recommandations urgentes sur la base des données électorales et sur le système biométrique. Pourquoi une telle précipitation médiatique, dans l’idée d’accréditer un fichier électoral fiable, sans même attendre la mise en œuvre effective des cent huit (108) recommandations des experts selon leurs échéanciers ? Pourtant, rien que sur le fichier électoral, ce sont 26 recommandations qui sont préconisées dont 13 doivent être mises en œuvre avant le 31 décembre 2011. Quant au système biométrique, ce sont 12 recommandations à mettre en œuvre avant le 31 décembre 2011.

C’est ainsi que sur le fichier électoral, les experts ont fait d’importants constats sur ses faiblesses, dont certaines ont déjà fait l’objet d’échanges publics, mais méritent d’être soulignées. Sur les 6.125 lieux de votes recensés au Sénégal, deux (2) ne disposent pas d’une adresse électorale. C’est le cas de Samelah à Touba qui comporte 145 bureaux de vote, soit près de cent mille électeurs. Rappelons que lors de l’élection Présidentielle de 2007, le candidat Abdoulaye Wade avait obtenu près de 87% des voix à Samelah ! Le second lieu de vote repéré par les experts de la mission d’audit est nommé « Mauvaise adresse électorale ». A la question posée sur sa justification, la réponse qui nous été servie, est la possibilité de saisir des électeurs dont on ne connaît pas encore l’adresse électorale. Cet argument est bien sûr loin d’être convaincant, car contraire à l’article L37 du code électoral qui exige que le domicile et la résidence de l’électeur soient identifiés avant toute inscription dans une commission administrative. Comment les fiches de tels « électeurs sans adresse » peuvent atterrir dans les salles de saisie du Ministère de l’Intérieur, en passant par les mailles des vérifications et des contrôles des commissions administratives d’inscription et de révision ?

Durant leurs enquêtes, les auditeurs ont trouvé à Dakar un stock de 9.000 cartes d’électeurs non distribuées. Ils ont identifié dans ce lot, plusieurs électeurs disposent de 3 à 5 cartes d’électeur, confirmant ainsi une affirmation longtemps soutenue pas l’opposition réunie au sein de Bennoo Siggil Senegaal. Un autre constat fait par les auditeurs, est la présence dans la Base des données électorales de 9.632 électeurs dont les champs « Nom et Prénom » sont renseignés par des dates de naissance ou par des étoiles. Cela confirme aussi une autre vérité sur le fichier électoral constatée en 2007. Les auditeurs ont aussi relevé que sur les 17.766 adresses électorales créées, seules 16.836 sont affectées à des électeurs. Ainsi donc, il existe 930 adresses électorales inutilisées, qui ne sont affectées à aucun électeur. Quelle est la pertinence technique de garder dans le fichier électoral ces adresses électorales ? L’autre révélation de la mission est que le fichier électoral est à ce jour composé de 4.835.637 alors qu’il était estimé à 4.917.160 électeurs théoriques à la fin de l’opération de refonte le 15 septembre 2006, soit une réduction de 81.523 électeurs.

Sur le système biométrique AFIS, les experts ont révélé l’absence d’une documentation du système propriétaire biométrique. Mais aussi, les auditeurs ont trouvé que 76.480 électeurs représentent des doublons éludés par le système biométriques AFIS, c'est-à-dire non décelables par la biométrie. Les experts ont ainsi proposé un retraitement des enregistrements biométriques pour améliorer le contrôle des doublons. Les experts ont aussi relevé un stockage de certaines données biométriques dans des répertoires des disques durs des serveurs, alors qu’il serait préférable techniquement d’intégrer dans une même table toutes les données caractères, biométrie, photographies et signatures. Un tel mode de stockage, a permis d’avoir des électeurs ayant des photos interverties. Pourtant, la technologie Oracle utilisée par le Ministère de l’Intérieur permet un stockage unifié de toutes ces données dans un même enregistrement à travers l’utilisation des grands objets de type LOB pour Large Object. Les experts ont aussi relevé la piètre qualité de 1.324.963 photos d’électeurs sur les 4.835.637 électeurs, soit 27,4% du fichier électoral. Sans une reprise de ces photos, il est difficile d’identifier correctement ces électeurs dans les bureaux de vote. Dans leurs recommandations, les experts ont préconisé l’acquisition d’un logiciel spécifique pour le retraitement de ces photos, mais aussi réimprimer les cartes d’électeurs correspondantes, former tous les représentants de bureaux de vote dans la reconnaissance faciale des électeurs. C’est près de 40.000 personnes que l’Etat du Sénégal devra former avant 2012 !

Peut-on parler de fichier fiable et crédible avec tous ces constats contenus dans les cinq rapports sectoriels de la mission d’audit MAFE_S1, MAFE_S2, MAFE_S3, MAFE_S4, le rapport d’examen du Fichier électoral ? Constatant ces faiblesses sur le fichier électoral et sur le système biométrique, les experts ont préconisé cent huit (108) recommandations [1], dont la mise en œuvre effective permettra d’améliorer la sécurité et la fiabilité du processus électoral. Pour la plupart de ces recommandations, la mise en œuvre est prévue avant le 31 décembre 2011.

Quelles sont les limites de la mission d’audit du processus électoral ?

Cette mission a été importante pour la Nation. La responsabilité et l’honnêteté intellectuelle nous dictent de saluer la compétence des experts, ainsi que l’engagement des ambassadeurs des Etats-Unis, de l’Allemagne et du délégué de l’Union Européenne pour la réussite de la mission. Pour tout cela, la Nation sénégalaise doit leur exprimer toute sa gratitude et sa reconnaissance.

Cependant, il faut souligner avec force, que cette mission d’audit avait des limites objectives, qui ne lui ont pas permis de répondre à toutes les attentes de l’opposition réunie dans Bennoo Siggil Senegaal. La première de ces attentes est relative à la nécessité de contrôler la nationalité des électeurs inscrits dans le fichier électoral. Car la seule preuve de la nationalité est le certificat de nationalité et non la carte nationale d’identité numérisée qui sert à l’inscription dans le fichier électoral. Or il est établi, que des étrangers ont profité de la refonte de 2006 pour disposer de la carte nationale d’identité numérisée et être indûment présents dans le fichier électoral. Bennoo Siggil Senegaal avait souhaité une enquête exhaustive de la population à partir du répertoire national des quartiers et villages du Sénégal. Le recensement général ainsi obtenu, serait rapproché avec le fichier électoral, le fichier des certificats de nationalité et celui des casiers judiciaires. C’est l’analyse des écarts de ce rapprochement qui devrait déterminer la révision des listes électorales en 2011. Cette tâche n’a pas été prise en charge par la mission d’audit. De la même façon, Bennoo Siggil Senegaal avait souhaité un rapprochement du fichier électoral avec l’état civil, par des sondages sur des régions sensibles, où il a été constaté des incohérences et des décalages majeurs entre la structure du fichier électoral et la structure de la population sénégalaise. C’est le cas de commission numéro 134 à Ziguinchor, lors de la refonte de 2006 ou il a été constaté des pics de 450 inscriptions dans une seule journée ! De telles performances, méritaient d’être approfondies par une enquête de terrain. La structure de la population enrôlée dans cette commission présentait des caractéristiques très paradoxales.

Bennoo Siggil Senegaal avait aussi souhaité, par des techniques de sondage, rapprocher la carte électorale numérique et la carte électorale réelle à travers un rapprochement du fichier électoral avec les procès verbaux de la Présidentielle de 2007, actuellement déposés au Conseil Constitutionnel. Dans un contexte où Bennoo Siggil Senegaal ne fait pas confiance au Ministère de l’intérieur, seule cette méthode peut nous permettre de certifier l’absence de votes multiples et de bureaux de votes fictifs, lors de l’élection présidentielle de 2007.

Bennoo Siggil Senegaal, avait aussi souhaité des recommandations sur le cadre légal d’une gestion concertée de la carte électorale pour éviter les découpages administratifs intempestifs qui sont opérés à la veille de chaque élection au Sénégal, comme c’est le cas actuellement. Les experts nous ont répondu que cette tâche ne faisait pas partie de leur mission. Une autre préoccupation de l’opposition concernait la gestion des lieux de vote sous abris provisoires, en particulier le cas de Samelah à Touba. Le Ministère de l’Intérieur peut initier une concertation avec les partenaires du Sénégal comme l’Union Européenne et l’Usaid, les autorités politiques et religieuses de Touba et les acteurs du processus électoral, pour sécuriser le vote dans la plus grosse communauté rurale du pays.

En conséquence, ces constats et limites de la mission inspirent une série de recommandations complémentaires et des dispositions pratiques à prendre, en vue des élections présidentielles et législatives de l’année 2012 :

1. Réduire le nombre d’électeurs par bureau de vote pour faciliter le vote des électeurs et le travail des membres de bureaux de vote.

2. Adopter le Spray et le bulletin Unique.

3. Identifier toutes les nouvelles collectivités créées en 2011, y créer immédiatement des comités électoraux de vigilance : Fatick, Thiès, Mbirkilane et Dakar. Il faudra noter que tous les électeurs qui seront transférés dans ces nouvelles collectivités disposeront de nouvelles cartes d’électeurs. Quid de leurs anciennes cartes d’électeurs ? Ce nouveau découpage administratif actuellement en cours, devra être surveillé attentivement par les citoyens et par tous les démocrates, surtout au moment de la distribution des nouvelles cartes d’électeurs qui seront imprimées pour les électeurs transférés dans ces nouvelles localités.

4. Surveiller attentivement les travaux des commissions de révision installées dans les zones frontalières du Sénégal : Zinguinchor, Sédiou, Kolda, Vélingara, Kedougou, Saraya, Tambacounda, Kidira, Matam, Bakel, Kaédi, Dagana, St Louis et Kaolack.

5. Arrêter le vote à 18H dans toute l’étendue du territoire national, puisque les photos du quart des électeurs présent dans le fichier électoral, ne sont pas identifiables le jour, à fortiori la nuit.

6. Surveiller physiquement les lieux et les bureaux de vote pour éviter le vote multiple.

7. Créer un comité spécial pour sécuriser et surveiller le vote à Samelah, mais surtout y guider les électeurs à retrouver leurs bureaux de vote.

8. Sensibiliser dans les quartiers et dans les villages, les électeurs sur les risques qu’ils encourent en acceptant de frauder un vote, en votant plusieurs ou en votant sans disposer du certificat de nationalité. Cette sensibilisation doit aussi être faite auprès des syndicats des transporteurs pour que leurs membres refusent de transporter des électeurs d’un lieu de vote à un autre.

Finalement, il appartiendra surtout à l’opposition réunie dans Bennoo Siggil Senegaal, d’assumer ses responsabilités, de s’organiser et se préparer activement à surveiller physiquement toutes les étapes du processus électoral, à travers la mise en place des comités électoraux de vigilance dans toute l’étendue du territoire et à l’étranger. Mais aussi, elle devra dès à présent, identifier ses représentants dans les 11.714 bureaux de vote et dans toutes les commissions de recensement. Ces représentants devront être des personnes engagées, insensibles à la corruption, résistantes et bien formées. Aucun audit ne remplacera le rôle politique des partis politiques dans la prise en charge de la question électorale à travers une mobilisation des citoyens. Gagner une élection présidentielle, se mérite. A la question de savoir si « le Fichier électoral est fiable ? », j’emprunterai la conclusion de l’expert chargé de l’examen des fichiers, qui écrit à la page 25 de son rapport sectoriel: «La pérennité et la crédibilité de la liste électorale devraient être basées sur un registre d’état civil bien tenu. Car un état civil de qualité est la solution idoine pour l’élaboration d’un fichier électoral fiable ». Ceci est la vérité sur la fiabilité du fichier électoral.

Alioune SARR

Coordonnateur des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

http://aliounesarr.blogspot.com/

1 Annexe : quelques des 108 recommandations

1. Supprimer la compétence nationale des commissions administratives d’inscription et de révision

2. Faire fusionner le fichier des civils avec ceux des militaires (R2.18)

3. Trouver un mode de transmission d’information entre le Ministère de la Justice et la DAF (R2.19)

4. Recruter du personnel compétent pour assurer une gestion autonome du fichier électoral (R2.23)

5. Mettre à la disposition des citoyens les listes électorales des précédentes révisions (R2.27)

6. Documenter le Système AFIS (R1)

7. Procéder à une évaluation indépendante du système biométrique AFIS (R2)

8. Contrôler la qualité des données biométriques

9. Identifier les photos pouvant gêner la reconnaissance de l’électeur (R4.1).

10. Préparer un cahier des charges pour le contrôle de la qualité des données biométriques (R4.6)

11. Procéder au chiffrement des fichiers de données

12. Réviser la qualité intrinsèque portant sur « nom », « prénom », « date de naissance » et « nom du mari » (R3.10)

13. Mettre au Ministère de l’Intérieur une plate forme commune des données (R3.12)

14. Intégrer dans une même table, les données caractères, biométriques, photos et signatures (R3.14)

15. Réviser la définition des lieux de votes par rapport à la cartographie électorale (R3.17)

Les autres recommandations sont disponibles au niveau de tous les partis politiques du Sénégal, de la société civile, de la Cena et du Ministère de l’Intérieur.

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