dimanche 30 janvier 2011

Audit du Processus électoral en 2010: Faiblesses du Fichier électoral et de la Biométrie, Limites de la Mission, Cent Huit (108) Recommandations.

Audit du Processus électoral en 2010: Faiblesses du Fichier électoral et de la Biométrie, Limites de la Mission, Cent Huit (108) Recommandations.

L’audit indépendant du processus électoral sénégalais par des experts internationaux vient de s’achever. Le jeudi 28 janvier 2010, le rapport global de la mission avec les constats sur les faiblesses du processus électoral ainsi que les cent huit (108) recommandations à mettre en œuvre, a été remis solennellement au Président de la République. Par cet acte solennel, le rapport global de la mission relève désormais du domaine public et doit être diffusé conformément aux engagements pris par l’Etat du Sénégal, pour permettre aux citoyens de bénéficier d’une information juste et objective, leur évitant d’être les victimes d’opérations de manipulation et de désinformation politique. Certaines des recommandations de la mission d’audit, comme la suppression de la compétence nationale des commissions administratives d’inscription et de révision, nécessitent une modification du code électoral. A ce jour, aucune information publique ne prévoit une convocation du Parlement pour une modification de la loi électorale. De la même façon, bien que le décret n° 2010-1776 de sa création soit signé depuis le 30 décembre 2010, le comité de veille chargé du suivi de ces recommandations, installé le 11 janvier 2011, n’est pas encore opérationnel, en raison d’une absence de consensus sur le choix de son président.

Mais, avant même que ce rapport ne soit envoyé comme prévu à tous les acteurs impliqués dans le processus électoral par les autorités contractantes de l’Union Européenne et de l’Usaid, des affirmations sur la fiabilité du fichier électoral sont savamment distillées dans la presse, alors que sont volontairement occultées les faiblesses majeures décelées sur le processus électoral par les experts, ainsi que les recommandations urgentes sur la base des données électorales et sur le système biométrique. Pourquoi une telle précipitation médiatique, dans l’idée d’accréditer un fichier électoral fiable, sans même attendre la mise en œuvre effective des cent huit (108) recommandations des experts selon leurs échéanciers ? Pourtant, rien que sur le fichier électoral, ce sont 26 recommandations qui sont préconisées dont 13 doivent être mises en œuvre avant le 31 décembre 2011. Quant au système biométrique, ce sont 12 recommandations à mettre en œuvre avant le 31 décembre 2011.

C’est ainsi que sur le fichier électoral, les experts ont fait d’importants constats sur ses faiblesses, dont certaines ont déjà fait l’objet d’échanges publics, mais méritent d’être soulignées. Sur les 6.125 lieux de votes recensés au Sénégal, deux (2) ne disposent pas d’une adresse électorale. C’est le cas de Samelah à Touba qui comporte 145 bureaux de vote, soit près de cent mille électeurs. Rappelons que lors de l’élection Présidentielle de 2007, le candidat Abdoulaye Wade avait obtenu près de 87% des voix à Samelah ! Le second lieu de vote repéré par les experts de la mission d’audit est nommé « Mauvaise adresse électorale ». A la question posée sur sa justification, la réponse qui nous été servie, est la possibilité de saisir des électeurs dont on ne connaît pas encore l’adresse électorale. Cet argument est bien sûr loin d’être convaincant, car contraire à l’article L37 du code électoral qui exige que le domicile et la résidence de l’électeur soient identifiés avant toute inscription dans une commission administrative. Comment les fiches de tels « électeurs sans adresse » peuvent atterrir dans les salles de saisie du Ministère de l’Intérieur, en passant par les mailles des vérifications et des contrôles des commissions administratives d’inscription et de révision ?

Durant leurs enquêtes, les auditeurs ont trouvé à Dakar un stock de 9.000 cartes d’électeurs non distribuées. Ils ont identifié dans ce lot, plusieurs électeurs disposent de 3 à 5 cartes d’électeur, confirmant ainsi une affirmation longtemps soutenue pas l’opposition réunie au sein de Bennoo Siggil Senegaal. Un autre constat fait par les auditeurs, est la présence dans la Base des données électorales de 9.632 électeurs dont les champs « Nom et Prénom » sont renseignés par des dates de naissance ou par des étoiles. Cela confirme aussi une autre vérité sur le fichier électoral constatée en 2007. Les auditeurs ont aussi relevé que sur les 17.766 adresses électorales créées, seules 16.836 sont affectées à des électeurs. Ainsi donc, il existe 930 adresses électorales inutilisées, qui ne sont affectées à aucun électeur. Quelle est la pertinence technique de garder dans le fichier électoral ces adresses électorales ? L’autre révélation de la mission est que le fichier électoral est à ce jour composé de 4.835.637 alors qu’il était estimé à 4.917.160 électeurs théoriques à la fin de l’opération de refonte le 15 septembre 2006, soit une réduction de 81.523 électeurs.

Sur le système biométrique AFIS, les experts ont révélé l’absence d’une documentation du système propriétaire biométrique. Mais aussi, les auditeurs ont trouvé que 76.480 électeurs représentent des doublons éludés par le système biométriques AFIS, c'est-à-dire non décelables par la biométrie. Les experts ont ainsi proposé un retraitement des enregistrements biométriques pour améliorer le contrôle des doublons. Les experts ont aussi relevé un stockage de certaines données biométriques dans des répertoires des disques durs des serveurs, alors qu’il serait préférable techniquement d’intégrer dans une même table toutes les données caractères, biométrie, photographies et signatures. Un tel mode de stockage, a permis d’avoir des électeurs ayant des photos interverties. Pourtant, la technologie Oracle utilisée par le Ministère de l’Intérieur permet un stockage unifié de toutes ces données dans un même enregistrement à travers l’utilisation des grands objets de type LOB pour Large Object. Les experts ont aussi relevé la piètre qualité de 1.324.963 photos d’électeurs sur les 4.835.637 électeurs, soit 27,4% du fichier électoral. Sans une reprise de ces photos, il est difficile d’identifier correctement ces électeurs dans les bureaux de vote. Dans leurs recommandations, les experts ont préconisé l’acquisition d’un logiciel spécifique pour le retraitement de ces photos, mais aussi réimprimer les cartes d’électeurs correspondantes, former tous les représentants de bureaux de vote dans la reconnaissance faciale des électeurs. C’est près de 40.000 personnes que l’Etat du Sénégal devra former avant 2012 !

Peut-on parler de fichier fiable et crédible avec tous ces constats contenus dans les cinq rapports sectoriels de la mission d’audit MAFE_S1, MAFE_S2, MAFE_S3, MAFE_S4, le rapport d’examen du Fichier électoral ? Constatant ces faiblesses sur le fichier électoral et sur le système biométrique, les experts ont préconisé cent huit (108) recommandations [1], dont la mise en œuvre effective permettra d’améliorer la sécurité et la fiabilité du processus électoral. Pour la plupart de ces recommandations, la mise en œuvre est prévue avant le 31 décembre 2011.

Quelles sont les limites de la mission d’audit du processus électoral ?

Cette mission a été importante pour la Nation. La responsabilité et l’honnêteté intellectuelle nous dictent de saluer la compétence des experts, ainsi que l’engagement des ambassadeurs des Etats-Unis, de l’Allemagne et du délégué de l’Union Européenne pour la réussite de la mission. Pour tout cela, la Nation sénégalaise doit leur exprimer toute sa gratitude et sa reconnaissance.

Cependant, il faut souligner avec force, que cette mission d’audit avait des limites objectives, qui ne lui ont pas permis de répondre à toutes les attentes de l’opposition réunie dans Bennoo Siggil Senegaal. La première de ces attentes est relative à la nécessité de contrôler la nationalité des électeurs inscrits dans le fichier électoral. Car la seule preuve de la nationalité est le certificat de nationalité et non la carte nationale d’identité numérisée qui sert à l’inscription dans le fichier électoral. Or il est établi, que des étrangers ont profité de la refonte de 2006 pour disposer de la carte nationale d’identité numérisée et être indûment présents dans le fichier électoral. Bennoo Siggil Senegaal avait souhaité une enquête exhaustive de la population à partir du répertoire national des quartiers et villages du Sénégal. Le recensement général ainsi obtenu, serait rapproché avec le fichier électoral, le fichier des certificats de nationalité et celui des casiers judiciaires. C’est l’analyse des écarts de ce rapprochement qui devrait déterminer la révision des listes électorales en 2011. Cette tâche n’a pas été prise en charge par la mission d’audit. De la même façon, Bennoo Siggil Senegaal avait souhaité un rapprochement du fichier électoral avec l’état civil, par des sondages sur des régions sensibles, où il a été constaté des incohérences et des décalages majeurs entre la structure du fichier électoral et la structure de la population sénégalaise. C’est le cas de commission numéro 134 à Ziguinchor, lors de la refonte de 2006 ou il a été constaté des pics de 450 inscriptions dans une seule journée ! De telles performances, méritaient d’être approfondies par une enquête de terrain. La structure de la population enrôlée dans cette commission présentait des caractéristiques très paradoxales.

Bennoo Siggil Senegaal avait aussi souhaité, par des techniques de sondage, rapprocher la carte électorale numérique et la carte électorale réelle à travers un rapprochement du fichier électoral avec les procès verbaux de la Présidentielle de 2007, actuellement déposés au Conseil Constitutionnel. Dans un contexte où Bennoo Siggil Senegaal ne fait pas confiance au Ministère de l’intérieur, seule cette méthode peut nous permettre de certifier l’absence de votes multiples et de bureaux de votes fictifs, lors de l’élection présidentielle de 2007.

Bennoo Siggil Senegaal, avait aussi souhaité des recommandations sur le cadre légal d’une gestion concertée de la carte électorale pour éviter les découpages administratifs intempestifs qui sont opérés à la veille de chaque élection au Sénégal, comme c’est le cas actuellement. Les experts nous ont répondu que cette tâche ne faisait pas partie de leur mission. Une autre préoccupation de l’opposition concernait la gestion des lieux de vote sous abris provisoires, en particulier le cas de Samelah à Touba. Le Ministère de l’Intérieur peut initier une concertation avec les partenaires du Sénégal comme l’Union Européenne et l’Usaid, les autorités politiques et religieuses de Touba et les acteurs du processus électoral, pour sécuriser le vote dans la plus grosse communauté rurale du pays.

En conséquence, ces constats et limites de la mission inspirent une série de recommandations complémentaires et des dispositions pratiques à prendre, en vue des élections présidentielles et législatives de l’année 2012 :

1. Réduire le nombre d’électeurs par bureau de vote pour faciliter le vote des électeurs et le travail des membres de bureaux de vote.

2. Adopter le Spray et le bulletin Unique.

3. Identifier toutes les nouvelles collectivités créées en 2011, y créer immédiatement des comités électoraux de vigilance : Fatick, Thiès, Mbirkilane et Dakar. Il faudra noter que tous les électeurs qui seront transférés dans ces nouvelles collectivités disposeront de nouvelles cartes d’électeurs. Quid de leurs anciennes cartes d’électeurs ? Ce nouveau découpage administratif actuellement en cours, devra être surveillé attentivement par les citoyens et par tous les démocrates, surtout au moment de la distribution des nouvelles cartes d’électeurs qui seront imprimées pour les électeurs transférés dans ces nouvelles localités.

4. Surveiller attentivement les travaux des commissions de révision installées dans les zones frontalières du Sénégal : Zinguinchor, Sédiou, Kolda, Vélingara, Kedougou, Saraya, Tambacounda, Kidira, Matam, Bakel, Kaédi, Dagana, St Louis et Kaolack.

5. Arrêter le vote à 18H dans toute l’étendue du territoire national, puisque les photos du quart des électeurs présent dans le fichier électoral, ne sont pas identifiables le jour, à fortiori la nuit.

6. Surveiller physiquement les lieux et les bureaux de vote pour éviter le vote multiple.

7. Créer un comité spécial pour sécuriser et surveiller le vote à Samelah, mais surtout y guider les électeurs à retrouver leurs bureaux de vote.

8. Sensibiliser dans les quartiers et dans les villages, les électeurs sur les risques qu’ils encourent en acceptant de frauder un vote, en votant plusieurs ou en votant sans disposer du certificat de nationalité. Cette sensibilisation doit aussi être faite auprès des syndicats des transporteurs pour que leurs membres refusent de transporter des électeurs d’un lieu de vote à un autre.

Finalement, il appartiendra surtout à l’opposition réunie dans Bennoo Siggil Senegaal, d’assumer ses responsabilités, de s’organiser et se préparer activement à surveiller physiquement toutes les étapes du processus électoral, à travers la mise en place des comités électoraux de vigilance dans toute l’étendue du territoire et à l’étranger. Mais aussi, elle devra dès à présent, identifier ses représentants dans les 11.714 bureaux de vote et dans toutes les commissions de recensement. Ces représentants devront être des personnes engagées, insensibles à la corruption, résistantes et bien formées. Aucun audit ne remplacera le rôle politique des partis politiques dans la prise en charge de la question électorale à travers une mobilisation des citoyens. Gagner une élection présidentielle, se mérite. A la question de savoir si « le Fichier électoral est fiable ? », j’emprunterai la conclusion de l’expert chargé de l’examen des fichiers, qui écrit à la page 25 de son rapport sectoriel: «La pérennité et la crédibilité de la liste électorale devraient être basées sur un registre d’état civil bien tenu. Car un état civil de qualité est la solution idoine pour l’élaboration d’un fichier électoral fiable ». Ceci est la vérité sur la fiabilité du fichier électoral.

Alioune SARR

Coordonnateur des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

http://aliounesarr.blogspot.com/

1 Annexe : quelques des 108 recommandations

1. Supprimer la compétence nationale des commissions administratives d’inscription et de révision

2. Faire fusionner le fichier des civils avec ceux des militaires (R2.18)

3. Trouver un mode de transmission d’information entre le Ministère de la Justice et la DAF (R2.19)

4. Recruter du personnel compétent pour assurer une gestion autonome du fichier électoral (R2.23)

5. Mettre à la disposition des citoyens les listes électorales des précédentes révisions (R2.27)

6. Documenter le Système AFIS (R1)

7. Procéder à une évaluation indépendante du système biométrique AFIS (R2)

8. Contrôler la qualité des données biométriques

9. Identifier les photos pouvant gêner la reconnaissance de l’électeur (R4.1).

10. Préparer un cahier des charges pour le contrôle de la qualité des données biométriques (R4.6)

11. Procéder au chiffrement des fichiers de données

12. Réviser la qualité intrinsèque portant sur « nom », « prénom », « date de naissance » et « nom du mari » (R3.10)

13. Mettre au Ministère de l’Intérieur une plate forme commune des données (R3.12)

14. Intégrer dans une même table, les données caractères, biométriques, photos et signatures (R3.14)

15. Réviser la définition des lieux de votes par rapport à la cartographie électorale (R3.17)

Les autres recommandations sont disponibles au niveau de tous les partis politiques du Sénégal, de la société civile, de la Cena et du Ministère de l’Intérieur.

dimanche 26 décembre 2010

Fiabilité du Processus électoral et Veille Post Audit: Urgences, Missions et Méthodes Proactives

A son Excellence Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal.

Monsieur le Président,

Le 3 avril 2010, à la veille de la célébration du 49-ème anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance, dans un discours adressé à la Nation, vous déclariez « (…) J’ai demandé à l’Union européenne et à la France de nous envoyer des experts pour tester le fichier électoral et mettre en place, avec nous, pouvoir et opposition, un Comité de veille permanent pour le surveiller jusqu’aux prochaines élections de 2012 ». Les partenaires du Sénégal que vous aviez solennellement sollicités ont répondu favorablement à votre appel, l’audit du processus électoral a démarré le 13 octobre 2010 et s’achèvera le 31 décembre 2010. Les experts indépendants de la mission, présenteront le 13 janvier 2011, le rapport général sur l’audit du processus électoral, qui comprendra les observations, les conclusions et les recommandations pour améliorer l’intégrité, la fiabilité et l’efficacité du processus et du fichier électoral constitué à ce jour de 4.917.160 électeurs. Comme tous les démocrates, nous attendons de prendre connaissance des résultats officiels de cette importante mission.

La révision des listes électorales démarre le 3 janvier 2011. Conformément à votre proposition, le comité de veille doit surveiller cette étape cruciale du processus électoral. Il est souhaitable que le décret de sa création soit signé et promulgué avant le 3 janvier 2011, pour lui permettre d’être opérationnel et veiller sur le processus électoral dans le strict respect des lois et des règlements du Sénégal. De la même façon, la mise en œuvre effective des recommandations issues de l’audit, ne saurait se faire sans une modification de certains articles du code électoral. Ainsi, il est urgent que le parlement soit convoqué en procédure d’urgence, pour modifier la loi électorale et intégrer les recommandations issues du rapport officiel de la mission d’audit qui sera présenté le 13 janvier 2011 ainsi que tous les autres points d’accord entre les partis politiques. Sous ce regard, un consensus devra être trouvé entre les acteurs politiques, pour le démarrage des travaux de révision du code électoral. Sans la prise en compte de ces urgences, les actions du comité de veille risquent d’être compromises ou frappées d’illégalité et ainsi, faire l’objet de contestations politiques.

Le comité de veille sur le processus électoral est une innovation qui vient renforcer l’arsenal de surveillance de notre système électoral. De toute évidence, il ne sera utile à la Nation, que dans sa capacité à réconcilier tous les acteurs politiques avec le processus électoral, à contribuer à une mise en œuvre effective des recommandations de l’audit, et à travers des propositions innovantes à l’image de la mission d’audit, de contribuer de manière significative à l’amélioration de l’intégrité, de la fiabilité et de l’efficacité du processus électoral. Ainsi, dans sa mission, le comité de veille produira de manière périodique, méthodique et proactive des recommandations argumentées sur toutes les étapes du cycle électoral: l’adéquation du cadre légal; l’adéquation des procédures électorales et des préparatifs ; la délimitation des circonscriptions électorales; l’inscription des électeurs; les programmes d’information et d’éducation des citoyens; l’enregistrement des partis politiques et des candidats; la liberté d’assemblée et de mouvement des partis politiques; la liberté d’expression et l’accès équitable aux médias; l’utilisation des ressources publiques pour fins de campagne; les activités du jour de l’élection; le dépouillement des votes et la compilation des résultats; l’existence de procédures impartiales appropriées pour déposer des plaintes, et de procédures de règlement légitimes relativement aux résultats des élections. Pour réussir cette mission de surveillance, les recommandations consensuelles adoptées par le comité de veille devront aussi être mises en œuvre de manière effective.

A travers la création du comité de veille, l’Etat du Sénégal décide de Co-surveiller avec les partis politiques et la société, une information stratégique pour la sécurité, l’intégrité et la stabilité de la Nation : l’information électorale. Par ce dispositif, notre pays se dotera d’une intelligence électorale collective et consensuelle, à l’image des grandes démocraties qui, après avoir stabilisé leurs processus démocratiques, ont construit des intelligences économiques, sociétales, politiques, juridiques ou technologiques. Dans la mise en œuvre du comité de veille, peuvent être des sources d’inspiration les meilleures pratiques dans les systèmes d’informations électorales et les travaux réalisés dans le domaine de la veille stratégique de l’information (Environmental Scanning), que le Professeur émérite Humbert LESCA, docteur d’Etat en management stratégique de l'information à l’université de Grenoble, définit comme, comme « un processus informationnel volontariste par lequel l’organisation se met à l'écoute anticipative ou prospective des signaux précoces de son environnement socio-économique dans le but créatif d'ouvrir des opportunités et de réduire les risques liés à son incertitude».

En nous appuyant sur les travaux de ce chercheur et les expertises dans la veille technologique, nous pouvons distinguer quatre principales tâches de veille sur le processus électoral au Sénégal :

1-Le ciblage de la veille sur le processus électoral, qui consistera à déterminer les acteurs et les activités à surveiller ainsi que les sources d’informations à mettre en œuvre. L’objectif du ciblage, sera de définir la cartographie du processus électoral composée de trois documents dont le premier est un tableau à deux entrées avec en lignes, les acteurs du processus électoral: Commissions administratives, Direction des opérations électorales, Direction de l’Automatisation du fichier, CENA, Tribunaux départementaux, Conseil Constitutionnel ; en colonnes leurs activités : Inscriptions, Modification, Enregistrement numérique, Contrôle, Production, Distribution des cartes d’électeurs, Ramassage des procès verbaux, Validation du vote, Gestion du contentieux. Le deuxième composant de la cartographie, est la liste des sources d’information à scruter : listes électorales, registres des opérations de révision électorale, Listes d’émargement, Bases de données du fichier électoral de la DAF et/ou de la CENA, Procès verbaux détenus par les membres de bureaux de votes, Rapports des cours et tribunaux. Le troisième et dernier composant de la cartographie électorale : la liste des mots clés qui permettront de déclencher des recherches d’informations : Inadéquation avec le cadre légal, Inscription multiple, Mauvaise référence d’un bureau de vote, Invalidation d’une inscription, Invalidation d’un vote.

2-La traque des informations est l’opération proactive par laquelle le comité de veille se procure des informations de veille stratégique sur le processus électoral. Les informations peuvent être obtenues dans les locaux du Ministère de l’Intérieur ou de la CENA (traqueurs sédentaires) et sur le terrain (traqueurs mobiles) dans les commissions administratives, dans les bureaux de vote ou dans les tribunaux administratifs. Pour harmonier la collecte des informations, les traqueurs disposent de fiches de captage normalisées, en papier ou sous forme d’une simple feuille Excel ou Word.

3-Traitement, circulation et remontée des informations est l’opération par laquelle un traqueur fait parvenir ses informations de veille électorale au comité de veille, en l’occurrence au Président du comité, qui devra les stocker dans un lieu sécurisé et constituer une base de connaissances électorales pour établir les rapports, les avis et les recommandations. Ces informations collectées seront mises en commun et rendues accessibles aux membres du comité de veille, aux citoyens, et aux principaux acteurs du processus électoral : Ministère de l’intérieur, CENA, partis politiques et la société civile.

4-Animation du comité de veille : le comité de veille ne doit pas être un comité amorphe et inactif. Il devra être proactif. Le président du comité sera un coordonnateur de tâches, connaisseur des questions électorales, et stimulera l’action des membres ainsi que leur créativité.

Quasiment, toutes les informations nécessaires à la cartographie électorale existent au Ministère de l’Intérieur. A titre d’illustration : le comité de veille pourrait surveiller le système d’inscription des électeurs dans les commissions administratives, à travers l’observation de ces trois indicateurs de performance : l’exactitude qui indique que les renseignements sur l’électeur ont été inscrits sur la liste électorale correctement, l’exhaustivité qui exprime que la proportion des électeurs dans les registres des commissions administratives sont réellement inscrits sur les listes électorale, l’actualité qui indique que le jour de l'élection, les renseignements relatifs à un électeur sont conformes à la situation actuelle. Les taux couramment admis pour ces indicateurs dans les processus électoraux stabilisés sont respectivement de 90%, 97% et 85%.[1] Ces taux expriment que neuf citoyens admis dans les commissions administratives sur 10 seraient inscrits sur la liste électorale; des erreurs à la saisie de données pourraient se produire dans trois inscriptions sur 100 et dans huit cas et demi sur 10, les renseignements seraient à jour le jour de l’élection. Avons-nous atteint de tels objectifs de performance ?

Sans un tel dispositif de surveillance, le comité de veille risque d’être un haut lieu de philippiques stériles, alors qu’il doit être une source d’informations de pilotage du processus électoral. En attendant les recommandations de la mission d’audit, le comité de veille pourrait s’autosaisir dès son installation, de deux dossiers qui constituent une entorse à la fiabilité et à la sécurité du processus électoral: le premier figure dans tous les rapports d’observation de la CENA et n’a pas encore trouvé de solution: la gestion des 145 bureaux de vote sous abris provisoires de Samelah à Touba, soit près de cent mille électeurs qui votent presque en plein air le jour des élections, dans des conditions d’extrême difficulté. Le Ministère de l’Intérieur y gère difficilement la logistique électorale, la CENA et les partis politiques y contrôlent difficilement le vote et il arrive qu’un électeur y passe la journée à rechercher en vain son bureau de vote ! Il est évident que toutes les conditions d’un vote fiable, sécurisé et transparent n’y sont pas réunies.

En raison du poids politique et électoral de Touba, le comité de veille, en collaboration avec les services du Ministère de l’Intérieur, les autorités religieuses et politiques de Touba et les partenaires impliqués dans le processus électoral, pourra proposer des solutions urgentes pour Samelah, à l’image de celles mises en œuvre avec l’Union Européenne en Cote d’Ivoire, où plus de 3.200 bureaux de votes mobiles ont été fabriqués dans le cadre de l’élection présidentielle du 31 octobre 2010. Le second dossier urgent est la gestion du stock des cartes d’électeurs et des cartes d’identité numérisées qui sont en souffrance dans les sous-préfectures et préfectures depuis 2007. D’autres dossiers aussi urgents pourront être tirés des recommandations faites par la CENA depuis 2007 : éviter comme en 2007, que les bulletins de vote de Candidats à l’élection présidentielle soient absents ou inversés dans des bureaux de vote à Dakar et à Thiès; éviter comme en 2009, que le vote soit annulé dans certains lieux de vote dans la région de Kolda, à Ndorna, à Kandiaye ou à Kandia où le matériel électoral et les bulletins de vote étaient arrivés après 18H et le vote autorisé par arrêté de l’autorité administrative en l’absence des représentants des partis politiques.

Par ailleurs, il serait souhaitable que le décret de création du comité de veille qui sera soumis à votre signature, tienne compte de ces différentes tâches ainsi que des contraintes évoquées sur le processus électoral. Dans ses prérogatives, le comité de veille devra disposer de toutes les sources d’informations nécessaires à sa mission de cartographie électorale. Sans doute, il ne manquera pas des séides politiques, prêts à dénaturer le décret, à banaliser le comité de veille pour l’éloigner de ses objectifs, d’être une structure trans-partisante de propositions et de surveillance du processus électoral. D’autres plus subtils, adeptes du statu quo, tenteront de vous convaincre à l’idée que le comité de veille a pour unique mission de «veiller seulement à la mise en œuvre des recommandations de l’audit», tâche que n’importe quel étudiant de 1ème année pourrait bien faire.

Tous ceux là, font semblant d’oublier que l’absence d’accord et de consensus politique entre le pouvoir et l’opposition, et l’existence dans le processus électoral de maillons faibles non résolus, déjà à l’origine du boycott par l’opposition des élections législatives de juin 2007, sont à l’origine de l’audit du processus électoral et de la création du comité de veille. Si par malheur, ces séides politiques arrivaient à leurs fins, le comité de veille dépouillé de sa substance initiale, aura perdu toute la consistance et la crédibilité qui lui auraient permis d’assurer convenablement sa mission de veille, de proposition et de surveillance du processus électoral, voire même, de médiation en cas de crise électorale. Dans ces conditions, les démocrates et les républicains sénégalais, n’auront plus comme seul recours, que la mobilisation du peuple durant les moments électoraux, pour protéger l’expression de sa volonté et préserver au Sénégal une République démocratique.

Dans l’espoir que ce comité de veille permette d’améliorer l’intégrité, la fiabilité et l’efficacité du processus électoral, Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'expression de mes respectueuses salutations.

Alioune SARR

Coordonnateur des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

http://aliounesarr.blogspot.com/

[1] : Sources Nations Unies, par Harry Neufeld Conseiller en matière d'administration électorale

mercredi 24 novembre 2010

Sénégal: Démarrage de la Révision des listes électorales concomitamment avec l’Audit du processus électoral

Questions à Me Ousmane Ngom, Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur.

Le Président de la République vient de signer le décret n° 2010-1519 du 15 novembre 2010 fixant au dimanche 26 février 2012 la date de la prochaine élection présidentielle. Par la même occasion, une révision exceptionnelle des listes électorales a été instituée par un autre décret n° 2010-1521 du 16 novembre 2010. Le lundi 22 novembre 2010, un communiqué du Ministère de l’Intérieur publié, annonce la révision des listes électorales dans la période du 1 décembre 2010 au 30 juin 2011. Pourtant, une mission d’audit du processus électoral, conduite par des experts mandatés par l’Union européenne et l’Usaid est en cours jusqu’au 30 janvier 2011. Comme d’habitude, aucune concertation entre les acteurs du jeu électoral n’a précédé ces décisions. Le mercredi 24 novembre 2010, s’est tenu au siège de la CENA, une réunion du comité technique de l’audit du processus électoral. Dès le début de cette rencontre, les représentants de Bennoo Siggil Senegaal, de Bennoo Taxawal Sénégal, et des non-alignés, annoncent la suspension de leur participation aux travaux techniques. Le motif : l’incompatibilité des travaux de la mission d’audit du processus électoral avec les tâches de révision des listes électorales. Quels paradoxes !

Plus exactement, durant cette dernière décennie au Sénégal, pour chacune des missions d’audit réalisées sur le fichier électoral, le Ministère de l’Intérieur a toujours demandé et obtenu, qu’il lui soit laissé le temps de terminer d’abord les travaux d’intégration et de validation de toutes les données issues des commissions administratives d’inscription et de révision des listes électorales, avant de démarrer une quelconque tâche d’audit. De la même façon, les modifications sur le fichier électoral étaient toujours introduites, à partir des recommandations des rapports d’audit, jamais pendant l’audit. Ce qui était parfaitement logique, compréhensible et accepté par tous les partis politiques. Pourquoi dans le cadre de cette mission d’audit piloté par l’Union européenne et l’Usaid, beaucoup plus complexe que les précédentes, car couvrant tout le processus électoral, vouloir changer les « règles du jeu de l’audit», en démarrant la révision des listes électorales de manière concomitante avec la mission d’audit ? Ainsi, avec cet enchevêtrement de missions forcément conflictuelles, tous ceux qui, ouvertement ou dans le fond même de leur conscience, commençaient à espérer que, grâce à cette mission d’audit, le Sénégal disposerait enfin d’un processus électoral stabilisé, permettant des élections libres, crédibles et transparentes, ont à présent des motifs d’émettre de sérieuses réserves. Est-ce surprenant ?

Pour un régime politique, où le respect du calendrier électoral est un fait d’exception, nous sommes bien fondés à nous interroger sur la pertinence et sur l’urgence de convoquer le corps électoral sénégalais, à quinze mois de la date de l’élection présidentielle, alors que la loi électorale dispose dans son article LO.128 que « les électeurs sont convoqués par décret publié au Journal Officiel au moins soixante dix (70) jours avant la date du scrutin ». L’argument défendu par les souteneurs du Président de la République, selon lequel, il s’agirait « d’un acte constitutionnel d’une très haute portée qui a l’avantage de couper court aux spéculations sur le respect éventuel du calendrier républicain », n’est que l’illustration d’une inquiétante déliquescence des institutions de la République du Sénégal. Le Chef de l’Etat, puis le Ministre d’Etat en charge de l’intérieur organisateur des élections, n’ont ils pas annoncé plusieurs fois, que l’élection présidentielle se tiendrait bien à la bonne date ?

Mais à vrai dire, ce qui surprend et inquiète tous les démocrates et laisse pantois nos partenaires de l’Union Européenne et de l’Usaid engagés dans l’audit du processus électoral, c’est l’annonce du démarrage de la révision des listes électorales le 1 décembre 2010, alors que les experts chargés de l’audit sont en mission sur le terrain jusqu’au 31 janvier 2011. Cette nouvelle révision prévue pour durer sept mois, sans aucune évaluation publique de la précédente révision qui a eu lieu du 1 février 2010 au 31 juillet 2010, et qui n’aura enregistré que 18.921 inscrits, seulement ! Pour donner les signes d’une bonne gouvernance de la question électorale, il aurait été souhaitable que le Ministère de l’intérieur communiquât sur ce niveau exagérément faible du nombre d’inscrits, avant de démarrer une nouvelle révision, avec le risque d’avoir les mêmes résultats, car la population sénégalaise n’a pas beaucoup évolué de juillet 2010 à décembre 2010, et la délivrance des cartes nationales d’identité continue à se faire au compte-gouttes. C’est pourquoi, il reviendra à tous les démocrates de se tenir debout, pour surveiller attentivement l’évolution du fichier électoral sénégalais, pendant et après cette nouvelle révision annoncée pour le 1er décembre.

Mais encore, la mission d’audit en cours, n’est qu’à sa première phase de revue du système d’inscription avec l’analyse du code électoral, de la Constitution, etc. Il reste aux experts, l’audit des trois phases importantes du processus électoral : la chaîne d’inscription des électeurs (audit de la DAF, de la CENA, des commissions administratives, etc.), l’examen des fichiers électoraux et à examiner l’adéquation technologique qui testera la fiabilité ou non de la biométrie. Puis, les experts produiront en janvier 2011, un rapport d’audit, décrivant les forces et les faiblesses du processus électoral sénégalais ainsi que les recommandations normalisées. C’est sous l’éclairage de ces résultats d’audit amendés et complétés par les partis politiques et les organisations de la société civile, que l’Etat du Sénégal prendra des actes réglementaires, pour une mise en œuvre effective par les services techniques des Ministères concernés, sous le contrôle de la CENA et la supervision du comité de veille proposé par le Chef de l’Etat et accepté par tous les acteurs politiques et par nos partenaires de l’Union européenne et par l’Usaid. Ainsi, une révision exceptionnelle pourrait être ouverte aussitôt après la publication officielle des recommandations au mois de février 2011, pour permettre à toute la population électorale recensée de figurer dans les listes électorales, grâce à un nouveau processus électoral fiabilisé et sécurisé. Voilà le consensus qui a été accepté par tous les partis politiques dont ceux réunis au sein de Bennoo Siggil Senegaal, et qui a été acté par la mission exploratoire de l’Union européenne et l’Usaid. D’ailleurs, lors de la cérémonie d’installation du comité de pilotage, Me Ousmane Ngom n’avait-il pas annoncé à juste titre, qu’ « à la fin des travaux de mise en place, l’Etat prendra les actes réglementaires nécessaires pour l’officialisation des recommandations de la mission» ?

En attendant l’arrêté ministériel portant révision exceptionnelle des listes électorales du 1 décembre 2010 au 30 juin 2011, qu’il me soit permis d’adresser au Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, ces questions relatives à sa surprenante décision de démarrer la révision des listes électorales concomitamment avec l’audit du processus électoral :

Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur :

1) Pourquoi démarrer cette révision des listes électorales avant la fin de la mission d’audit du processus électoral, alors que les procédures même de cette révision ainsi que les structures en charge de ces élections (CENA, DAF, commissions administratives), sont auditées avec une forte probabilité qu’elles subissent des réformes à l’issue de cette mission ?

2) Quelle est l’urgence de démarrer une révision des listes électorales, au moment même où vos collaborateurs et collègues du Ministère de l’Intérieur et de la CENA, sont mobilisés avec les experts de l’Union Européenne et de l’Usaid dans la mission d’audit du processus électoral ?

3) Si à l’issue de cette mission d’audit, l’Union européenne et l’Usaid acceptaient une vielle requête de l’opposition d’accompagner l’Etat du Sénégal durant tout le processus électoral en vue de la Présidentielle de 2012, en recrutant de nouveaux observateurs dans les commissions administratives d’inscription, quel sera le sort de ces nouveaux représentants ?

4) Que ferez-vous lorsque la mission d’audit aura détecté que la biométrie présente des défaillances, et qu’il va falloir rechercher un système plus fiable pour contrôler les inscriptions multiples, dont celles relatives à la révision annoncée pour le 1er décembre 2010 ? Quid des électeurs qui, en toute bonne foi, se seraient inscrits dans le cadre de cette nouvelle révision ?

5) Que ferez-vous, lorsque, dans le cadre de cette mission d’audit, l’agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), à partir du répertoire national des villages et quartiers du Sénégal, aura réalisé des enquêtes exhaustives sur la population, et que les croisements entre la carte électorale, les listes électorales et la population électorale, auront décelé des incohérences ou des anomalies ? Que vaudront au moment des recommandations, les résultats de ces enquêtes de l’ANSD, alors que les opérations de révision modifient la structure de la population enquêtée ?

6) Enfin, croyez vous réellement à cette mission d’audit du processus électoral et considérez vous qu’elle entraînera de réels changements sur le processus électoral ? Confirmez vous toujours vos propos tenus lors de l’installation du comité de pilotage et du comité technique le 13 octobre 2010, où vous déclariez que : « Je fonde beaucoup d’espoir sur les conclusions des travaux de la mission d’audit du fichier électoral et du processus qui permettront de créer les conditions de leur amélioration au grand bénéfice de notre peuple» ?

Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, en démarrant la révision des listes électorales le 1er décembre 2010, avant la fin de la mission d’audit du processus électoral actuellement en cours jusqu’au 30 janvier 2011, vous semblez vouloir vous exonérer de la supervision par le Comité de veille proposé par le Président de la République et vous risquez de parasiter les travaux de la mission d’audit. Ainsi, lorsque vous annonciez devant la représentation nationale lors du vote du budget de votre Ministère que « il faut souhaiter que toutes les parties s’engagent à respecter les résultats de cet audit. Ceci est fondamental, parce que, dans un exercice de ce genre, la bonne foi est essentielle », je me permets de vous demander de commencer par donner l’exemple, en attendant tout bonnement la fin de la mission d’audit du processus électoral avant de démarrer la révision des listes électorales. En homme politique averti, vous devez savoir, que les sénégalais en général et Bennoo Siggil Senegaal en particulier, n’accepteront aucun des résultats, s’il s’avère que la mission d’audit a été torpillée au départ et que ses conclusions sont biaisées.

Cette mission d’audit du processus électoral doit réussir, parce qu’elle est salutaire pour la stabilité du processus électoral qui détermine la solidité et la pérennité de nos institutions. Elle peut réussir si ses experts travaillent librement et en toute indépendance, dans une franche et loyale collaboration avec les services de l’Etat. La mission échouera, si elle est parasitée ou si ses conclusions sont sabordées. En définitive, l’échec de cette mission, serait d’abord l’échec du Chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade, qui a pris des engagements solennels devant la Nation. Puis ce serait l’échec personnel du Ministre d’Etat, Ministre de l’intérieur, qui aura été incapable de conduire une mission où, il lui est demandé d’une part, de laisser travailler des experts indépendants sans interférence, d’autre part d’appliquer rigoureusement et en toute bonne foi, les recommandations validées par toutes les parties impliquées dans l’audit du processus électoral. Ensuite ce serait un échec de la classe politique sénégalaise et de la société civile, incapables de s’accorder sur un consensus politique sur un processus aussi crucial pour notre démocratie. Cet échec serait aussi un désaveu et un camouflet pour nos partenaires de l’Union européenne et de l’Usaid, qui auront investi inutilement sur cette mission et nourri de vains espoir sur le Sénégal. Enfin un tel échec entraînerait un discrédit international de l’Etat du Sénégal, au moment même où le vent de la démocratie souffle partout en Afrique de l’Ouest, et où la plupart des pays ont dépassé le stade primitif des processus électoraux contestés. Si un tel échec survenait, alors le peuple sénégalais pourra faire sien ce mot de Friedrich Nietzsche : «L'Etat est le plus froid des monstres froids. Il ment froidement. Et voici le mensonge qui s'échappe de sa bouche: « Moi l'Etat, je suis le peuple»».

Alioune SARR

Coordonnateur des experts de Bennoo Siggil Senegaal

Coordonnateur des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

http://aliounesarr.blogspot.com/

Nota Bene : A ce jour, les représentants de Bennoo Siggil Senegaal ne disposent d’aucune connaissance quant aux rapports provisoires produits par les experts de l’Union Européenne et de l’Usaid. Leur rapport global sera présenté au mois de janvier 2011. C’est en ce moment, que les amendements seront faits. Ceci nous met à l’aise dans notre vigilance quant aux actes posés par les uns et par les autres.

vendredi 23 juillet 2010

Sondages politiques: Autoriser, Contrôler et Réguler pour Garantir les droits des citoyens à une information objective et non erronée

http://www.walf.sn/contributions/suite.php?rub=8&id_art=66060

http://www.nettali.net/Sondages-politiques-Autoriser.html

http://www.sudonline.sn/spip.php?article3133

http://www.leral.net/Sondages-politiques-Autoriser-Controler-et-Reguler-pour-Garantir-les-droits-des-citoyens-a-une-information-objective-et_a10115.html

Un sondage est une méthode statistique, visant à donner une indication quantitative de l'opinion d'une population au moyen d'un échantillon représentatif, qui correspond à un modèle réduit de la population. Les personnes présentes dans l’échantillon, doivent refléter fidèlement l’ensemble de la population. Deux méthodes permettent de construire un échantillon ou plan de sondage : avec les méthodes aléatoires, les personnes à interroger sont choisies au hasard ; avec les méthodes des quotas, les personnes choisies ont les mêmes caractéristiques sociodémographiques que l’ensemble de la population, qui est décomposée en sous groupes homogènes, selon des critères de partitionnement en rapport avec la thématique de l’enquête : lieu géographique, classe d’âge, sexe ou catégorie socioprofessionnelle. Cette méthode est la plus répandue, en raison de la rapidité de la mise en œuvre.

Un sondage fiable, est un outil d'aide à la décision efficace pour l’éclairage des choix des dirigeants politiques, économiques ou sociaux. Pour apprécier sa fiabilité, un sondage doit répondre au double critère d'être scientifiquement valide et intellectuellement honnête. Les théories mathématiques ont apporté des solutions de validation scientifique des sondages, grâce à diverses méthodes: constituer des échantillons probabilistes par quotas avec l’algorithme CUBE, contrôler l’équilibre d’un échantillon avec l’estimateur d’Horvitz-Thompson, redresser les échantillons avec les algorithmes itératifs de calage, mesurer la marge d’erreur avec l’écart-type, préciser les estimations avec la Loi de Gauss, le Théorème central limite, la Loi de Bernoulli, etc. En revanche, c’est la compétence et la déontologie de ses concepteurs, qui détermineront la crédibilité d’un sondage.

A vrai dire, même lorsqu’ils sont parés de ces deux qualités, les sondages ne sauraient être des panacées et leurs concepteurs les gourous de l’analyse infaillible. Les sondages se sont souvent trompés. Un exemple est célèbre dans l’histoire des Etats-Unis: lors des élections présidentielles de 1948, les instituts de sondage prévoyaient une victoire écrasante du candidat républicain Dewey face au démocrate Truman. Pourtant, ils se sont complètement trompés, parce que le sondage reposait sur une enquête réalisée au téléphone, qui était l’apanage des riches à cette époque, alors que Truman avait le soutien des couches les plus défavorisées ! Il existe dans les sondages, diverses sources d’erreurs et de biais: absence de neutralité et d’impartialité de l’organisme sondeur ; erreurs de mesure, lorsque l’échantillon choisi n’est pas représentatif ; biais de couverture de la population; bais sur les questionnaires, où la question influence la réponse ; la non-réponse, où un individu dûment sélectionné par le plan de sondage n’a pu être observé pour une raison ou une autre.

Au Sénégal, il faut ajouter à ces biais classiques, des contraintes spécifiques: l’irrégularité d’enquêtes exhaustives comme le recensement de la population, qui ne permet pas d’avoir des statistiques fiables pour résoudre par exemple, les biais des non-réponses ; l’inaccessibilité de certaines catégories de la population, qui ne favorise pas les enquêtes ‘’face à face’’ ; le taux de pénétration faible du téléphone fixe et internet: seuls 292.625 sénégalais sont équipés de téléphones fixes, et 63.210 sont connectés à internet. Quant au téléphone mobile, même si près de deux sénégalais sur trois en disposent, l’inexistence d’un annuaire universel mobile, le coût élevé et le contexte des communications, ainsi que la difficulté d’une stratification géographique des abonnés du mobile, imposent des limites susceptibles de biaiser les échantillons. Ce sont de telles contraintes qui limitent au Sénégal, la portée des systèmes de collecte assistée par téléphone et informatique (CATI[1]) ou par internet (CAWI[2]), même si nous avons assisté récemment à leur utilisation lors des campagnes politiques.

6Mais, en dépit de toutes ces insuffisances, les sondages demeurent de précieux outils de prévision et d’anticipation des évènements dans un monde d’incertitudes et de mutations croissantes. Dans ce contexte globalisé, dominé par une économie marquée par une concurrence exacerbée et une recherche permanente de compétitivité des entreprises, ce sont surtout les sondages relatifs aux questions économiques et aux études de marché qui occupent le haut du pavé. Mais, ce sont les sondages politiques qui soulèvent le plus de polémiques et donnent lieu à des commentaires avisés et parfois passionnés, en raison de leur complexité et des enjeux qu’ils sous-tendent.

Le sondage politique vise à déterminer les opinions politiques des individus composant la population. Il arrive souvent que les sondés dissimulent leurs intentions politiques, pour des raisons diverses : autodéfense, méfiance, ignorance, hostilité, refus, etc. C’est pourquoi, le sondage politique fait systématiquement l’objet d’un redressement, à partir de clefs comme la « reconstitution du vote », qui consiste à interroger les sondés sur leurs votes passés. C’est ce qui explique la difficulté de prévoir de manière crédible et objective, les résultats électoraux pour des candidats qui n’ont jamais participé à une compétition électorale. Les études politiques rencontrent fréquemment ces cas de figure au Sénégal, en raison de la prolifération de candidatures ‘’neuves’’ à chaque élection. Malgré le fait qu’on y vote depuis 1848, les sondages politiques ne sont toujours pas autorisés au Sénégal. Ils sont même interdits depuis 1985, par la loi numéro 86-16 du 14 avril 1985 et son décret d’application numéro 86-616 du 22 mai 1986. Mais, dans la pratique, des sondages politiques confidentiels sont largement commandés par les acteurs politiques pour définir leurs stratégies, orienter leurs campagnes, argumenter leurs décisions, ou pour mesurer les impacts de certains choix publics.

Egalement, les émissions interactives Wakh Sa Khalat[3] des radios de la bande FM, peuvent être considérées comme des baromètres journaliers sur des questions politiques. Le succès enregistré auprès de l’opinion illustre une forte demande citoyenne, même si on note des velléités de parasiter ces espaces, de la part d’auditeurs militants politiques. D’ailleurs, l’heure est venue de compléter le tableau par de nouveaux baromètres sur la cote de popularité des institutions comme le Président de la République, la Justice ou la Police. De tels outils constitueraient des outils d’informations efficaces qui influenceraient positivement les tenants du pouvoir politique dans leurs actions, dans le cadre d’une gouvernance concertée et partagée. En outre, la production industrielle de ces baromètres, constitueraient d’immenses opportunités économiques pour les organismes de sondage et les sociétés spécialisées dans les nouvelles technologies. L’absence de leurs syndicats, du débat en cours sur les sondages politiques, est tout à fait paradoxale !

Ainsi, il appert que les mutations démocratiques intervenues dans notre pays, continueront d’imprimer un mouvement inflationniste dans la production et la diffusion des sondages politiques, rendant désuet leur cadre institutionnel et légal. Cette distorsion entre le droit et la réalité, favorise fatalement l’émergence d’organismes de sondage, qui auront tendance à s’exonérer des contraintes de la validité scientifique et des règles de transparence qu’exige une bonne gouvernance publique. Pour protéger notre démocratie contre de tels dangers et pour garantir aux citoyens leurs droits de bénéficier d’une information objective et non erronée, il appartiendra d’abord aux organismes de sondages de définir et de publier leur code déontologique en précisant les droits des personnes sondées, des clients et du public. Ensuite, l’Etat du Sénégal devra démarrer le processus de réorganisation du secteur des sondages politiques, en abrogeant la loi 86-16 du 14 avril 1985 qui les interdit, et en procédant à des réformes institutionnelles avec la création d’une commission nationale des sondages. Cette commission composée de parlementaires, de magistrats et d’experts, aura comme mission, de contrôler techniquement la validité scientifique et de réguler la publication et la diffusion des sondages pour protéger les citoyens contre la diffusion d’informations biaisées de nature à fausser le jeu démocratique.

Dans sa mission, la commission nationale des sondages devra dérouler des programmes nationaux d’information des citoyens sur leurs droits sur les sondages ainsi que les dispositions administratives et réglementaires de recours et de contestation. Elle fournira aussi à l’attention des sociétés de médias et des journalistes, des séminaires d’échanges et de formation sur l’exploitation et l’interprétation rigoureuse et objective des résultats des sondages. Evidemment, ce processus de réformes institutionnelles, de contrôle et de régulation des sondages politiques, sera impulsé par l’Etat. Mais, il devra être mené dans le cadre d’une large concertation qui impliquera tous les acteurs concernés : partis politiques, sociétés de sondage, opérateurs télécoms, consommateurs, journalistes, juristes, experts statisticiens, sociologues, etc. A l’image de ce qui se fait dans tous les pays démocratiques, elle exigera de tous les organismes sondeurs, la publication pour chaque sondage politique, d’une notice technique qui précisera:

  1. l'objet du sondage,
  2. la méthode selon laquelle les personnes interrogées ont été choisies,
  3. le choix et la composition de l'échantillon,
  4. la méthode de redressement des échantillons,
  5. les conditions dans lesquelles il a été procédé aux interrogations,
  6. le texte intégral des questions posées,
  7. la proportion des personnes n'ayant pas répondu à chacune des questions,
  8. les limites d'interprétation des résultats publiés,
  9. la méthode utilisée pour en déduire les résultats de caractère indirect qui seraient publiés.

En procédant à ces importantes réformes, notre pays s’alignera sur les grandes démocraties. Aux Etats-Unis, le National Council on Public Polls (Conseil national de Sondages Publics) a été créé en 1969 pour imposer « les standards professionnels les plus élevés et promouvoir la compréhension, parmi les politiciens, les médias et le grand public, de la façon dont les sondages sont réalisés et comment les interpréter ». La Grande Bretagne a créé le British Polling Council. En Europe, a été créée en 1949, l’association professionnelle ESOMAR, avec un code international d’autorégulation qui se fixe comme objectif : «Définir les règles déontologiques que les professionnels des études de marché doivent respecter, Favoriser la confiance du public envers les études de marché en soulignant les droits et les mesures de protection dont il bénéficie en vertu de ce Code, Protéger la liberté qu’ont les professionnels des études de marché de rechercher, recevoir et transmettre les informations conformément à l’article 19 du Pacte international de l’ONU relatif aux droits civils et politiques,…».

En définitive, à l’absence de ces mécanismes d’information, de contrôle et de régulation, il reviendra aux acteurs politiques, aux observateurs et aux citoyens, d’analyser et d’interpréter avec discernement, les résultats de la série de sondages politiques, qui seront diffusés durant les 17 mois qui nous séparent de la Présidentielle de 2012, malgré l’existence d’une loi d’interdiction. Aux militants des partis politiques membres de Bennoo Siggil Senegaal, submergés dans leurs réflexions par une prolifération d’analyses politiques relatives aux stratégies d’alliance pour 2012, je partage cette lumineuse pensée du stratège chinois Sun Tzu: « Ce qui, donc, est la plus haute importance dans la guerre, c'est de s'attaquer à la stratégie de l'ennemi. Le mieux ensuite, c'est de lui faire rompre ses alliances. Ne laissez pas vos ennemis s’unir. Examinez la question de ses alliances et provoquez-en la rupture et la dislocation. Si un ennemi possède des alliés, le problème est grave et la position de l'ennemi est forte; s'il n'en a pas, le problème est mineur et sa position est faible ».

Alioune SARR

Ingénieur Informaticien

Coordonnateur de l’Alliance Nationale des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

1 : CATI : Computer-Assisted Telephone Interview

2 : CAWI : Computer-Assisted Web Interviewing

3 : Wakh Sa Khalat : Emissions interactives des radios de la bande FM au Sénégal