vendredi 23 juillet 2010

Sondages politiques: Autoriser, Contrôler et Réguler pour Garantir les droits des citoyens à une information objective et non erronée

http://www.walf.sn/contributions/suite.php?rub=8&id_art=66060

http://www.nettali.net/Sondages-politiques-Autoriser.html

http://www.sudonline.sn/spip.php?article3133

http://www.leral.net/Sondages-politiques-Autoriser-Controler-et-Reguler-pour-Garantir-les-droits-des-citoyens-a-une-information-objective-et_a10115.html

Un sondage est une méthode statistique, visant à donner une indication quantitative de l'opinion d'une population au moyen d'un échantillon représentatif, qui correspond à un modèle réduit de la population. Les personnes présentes dans l’échantillon, doivent refléter fidèlement l’ensemble de la population. Deux méthodes permettent de construire un échantillon ou plan de sondage : avec les méthodes aléatoires, les personnes à interroger sont choisies au hasard ; avec les méthodes des quotas, les personnes choisies ont les mêmes caractéristiques sociodémographiques que l’ensemble de la population, qui est décomposée en sous groupes homogènes, selon des critères de partitionnement en rapport avec la thématique de l’enquête : lieu géographique, classe d’âge, sexe ou catégorie socioprofessionnelle. Cette méthode est la plus répandue, en raison de la rapidité de la mise en œuvre.

Un sondage fiable, est un outil d'aide à la décision efficace pour l’éclairage des choix des dirigeants politiques, économiques ou sociaux. Pour apprécier sa fiabilité, un sondage doit répondre au double critère d'être scientifiquement valide et intellectuellement honnête. Les théories mathématiques ont apporté des solutions de validation scientifique des sondages, grâce à diverses méthodes: constituer des échantillons probabilistes par quotas avec l’algorithme CUBE, contrôler l’équilibre d’un échantillon avec l’estimateur d’Horvitz-Thompson, redresser les échantillons avec les algorithmes itératifs de calage, mesurer la marge d’erreur avec l’écart-type, préciser les estimations avec la Loi de Gauss, le Théorème central limite, la Loi de Bernoulli, etc. En revanche, c’est la compétence et la déontologie de ses concepteurs, qui détermineront la crédibilité d’un sondage.

A vrai dire, même lorsqu’ils sont parés de ces deux qualités, les sondages ne sauraient être des panacées et leurs concepteurs les gourous de l’analyse infaillible. Les sondages se sont souvent trompés. Un exemple est célèbre dans l’histoire des Etats-Unis: lors des élections présidentielles de 1948, les instituts de sondage prévoyaient une victoire écrasante du candidat républicain Dewey face au démocrate Truman. Pourtant, ils se sont complètement trompés, parce que le sondage reposait sur une enquête réalisée au téléphone, qui était l’apanage des riches à cette époque, alors que Truman avait le soutien des couches les plus défavorisées ! Il existe dans les sondages, diverses sources d’erreurs et de biais: absence de neutralité et d’impartialité de l’organisme sondeur ; erreurs de mesure, lorsque l’échantillon choisi n’est pas représentatif ; biais de couverture de la population; bais sur les questionnaires, où la question influence la réponse ; la non-réponse, où un individu dûment sélectionné par le plan de sondage n’a pu être observé pour une raison ou une autre.

Au Sénégal, il faut ajouter à ces biais classiques, des contraintes spécifiques: l’irrégularité d’enquêtes exhaustives comme le recensement de la population, qui ne permet pas d’avoir des statistiques fiables pour résoudre par exemple, les biais des non-réponses ; l’inaccessibilité de certaines catégories de la population, qui ne favorise pas les enquêtes ‘’face à face’’ ; le taux de pénétration faible du téléphone fixe et internet: seuls 292.625 sénégalais sont équipés de téléphones fixes, et 63.210 sont connectés à internet. Quant au téléphone mobile, même si près de deux sénégalais sur trois en disposent, l’inexistence d’un annuaire universel mobile, le coût élevé et le contexte des communications, ainsi que la difficulté d’une stratification géographique des abonnés du mobile, imposent des limites susceptibles de biaiser les échantillons. Ce sont de telles contraintes qui limitent au Sénégal, la portée des systèmes de collecte assistée par téléphone et informatique (CATI[1]) ou par internet (CAWI[2]), même si nous avons assisté récemment à leur utilisation lors des campagnes politiques.

6Mais, en dépit de toutes ces insuffisances, les sondages demeurent de précieux outils de prévision et d’anticipation des évènements dans un monde d’incertitudes et de mutations croissantes. Dans ce contexte globalisé, dominé par une économie marquée par une concurrence exacerbée et une recherche permanente de compétitivité des entreprises, ce sont surtout les sondages relatifs aux questions économiques et aux études de marché qui occupent le haut du pavé. Mais, ce sont les sondages politiques qui soulèvent le plus de polémiques et donnent lieu à des commentaires avisés et parfois passionnés, en raison de leur complexité et des enjeux qu’ils sous-tendent.

Le sondage politique vise à déterminer les opinions politiques des individus composant la population. Il arrive souvent que les sondés dissimulent leurs intentions politiques, pour des raisons diverses : autodéfense, méfiance, ignorance, hostilité, refus, etc. C’est pourquoi, le sondage politique fait systématiquement l’objet d’un redressement, à partir de clefs comme la « reconstitution du vote », qui consiste à interroger les sondés sur leurs votes passés. C’est ce qui explique la difficulté de prévoir de manière crédible et objective, les résultats électoraux pour des candidats qui n’ont jamais participé à une compétition électorale. Les études politiques rencontrent fréquemment ces cas de figure au Sénégal, en raison de la prolifération de candidatures ‘’neuves’’ à chaque élection. Malgré le fait qu’on y vote depuis 1848, les sondages politiques ne sont toujours pas autorisés au Sénégal. Ils sont même interdits depuis 1985, par la loi numéro 86-16 du 14 avril 1985 et son décret d’application numéro 86-616 du 22 mai 1986. Mais, dans la pratique, des sondages politiques confidentiels sont largement commandés par les acteurs politiques pour définir leurs stratégies, orienter leurs campagnes, argumenter leurs décisions, ou pour mesurer les impacts de certains choix publics.

Egalement, les émissions interactives Wakh Sa Khalat[3] des radios de la bande FM, peuvent être considérées comme des baromètres journaliers sur des questions politiques. Le succès enregistré auprès de l’opinion illustre une forte demande citoyenne, même si on note des velléités de parasiter ces espaces, de la part d’auditeurs militants politiques. D’ailleurs, l’heure est venue de compléter le tableau par de nouveaux baromètres sur la cote de popularité des institutions comme le Président de la République, la Justice ou la Police. De tels outils constitueraient des outils d’informations efficaces qui influenceraient positivement les tenants du pouvoir politique dans leurs actions, dans le cadre d’une gouvernance concertée et partagée. En outre, la production industrielle de ces baromètres, constitueraient d’immenses opportunités économiques pour les organismes de sondage et les sociétés spécialisées dans les nouvelles technologies. L’absence de leurs syndicats, du débat en cours sur les sondages politiques, est tout à fait paradoxale !

Ainsi, il appert que les mutations démocratiques intervenues dans notre pays, continueront d’imprimer un mouvement inflationniste dans la production et la diffusion des sondages politiques, rendant désuet leur cadre institutionnel et légal. Cette distorsion entre le droit et la réalité, favorise fatalement l’émergence d’organismes de sondage, qui auront tendance à s’exonérer des contraintes de la validité scientifique et des règles de transparence qu’exige une bonne gouvernance publique. Pour protéger notre démocratie contre de tels dangers et pour garantir aux citoyens leurs droits de bénéficier d’une information objective et non erronée, il appartiendra d’abord aux organismes de sondages de définir et de publier leur code déontologique en précisant les droits des personnes sondées, des clients et du public. Ensuite, l’Etat du Sénégal devra démarrer le processus de réorganisation du secteur des sondages politiques, en abrogeant la loi 86-16 du 14 avril 1985 qui les interdit, et en procédant à des réformes institutionnelles avec la création d’une commission nationale des sondages. Cette commission composée de parlementaires, de magistrats et d’experts, aura comme mission, de contrôler techniquement la validité scientifique et de réguler la publication et la diffusion des sondages pour protéger les citoyens contre la diffusion d’informations biaisées de nature à fausser le jeu démocratique.

Dans sa mission, la commission nationale des sondages devra dérouler des programmes nationaux d’information des citoyens sur leurs droits sur les sondages ainsi que les dispositions administratives et réglementaires de recours et de contestation. Elle fournira aussi à l’attention des sociétés de médias et des journalistes, des séminaires d’échanges et de formation sur l’exploitation et l’interprétation rigoureuse et objective des résultats des sondages. Evidemment, ce processus de réformes institutionnelles, de contrôle et de régulation des sondages politiques, sera impulsé par l’Etat. Mais, il devra être mené dans le cadre d’une large concertation qui impliquera tous les acteurs concernés : partis politiques, sociétés de sondage, opérateurs télécoms, consommateurs, journalistes, juristes, experts statisticiens, sociologues, etc. A l’image de ce qui se fait dans tous les pays démocratiques, elle exigera de tous les organismes sondeurs, la publication pour chaque sondage politique, d’une notice technique qui précisera:

  1. l'objet du sondage,
  2. la méthode selon laquelle les personnes interrogées ont été choisies,
  3. le choix et la composition de l'échantillon,
  4. la méthode de redressement des échantillons,
  5. les conditions dans lesquelles il a été procédé aux interrogations,
  6. le texte intégral des questions posées,
  7. la proportion des personnes n'ayant pas répondu à chacune des questions,
  8. les limites d'interprétation des résultats publiés,
  9. la méthode utilisée pour en déduire les résultats de caractère indirect qui seraient publiés.

En procédant à ces importantes réformes, notre pays s’alignera sur les grandes démocraties. Aux Etats-Unis, le National Council on Public Polls (Conseil national de Sondages Publics) a été créé en 1969 pour imposer « les standards professionnels les plus élevés et promouvoir la compréhension, parmi les politiciens, les médias et le grand public, de la façon dont les sondages sont réalisés et comment les interpréter ». La Grande Bretagne a créé le British Polling Council. En Europe, a été créée en 1949, l’association professionnelle ESOMAR, avec un code international d’autorégulation qui se fixe comme objectif : «Définir les règles déontologiques que les professionnels des études de marché doivent respecter, Favoriser la confiance du public envers les études de marché en soulignant les droits et les mesures de protection dont il bénéficie en vertu de ce Code, Protéger la liberté qu’ont les professionnels des études de marché de rechercher, recevoir et transmettre les informations conformément à l’article 19 du Pacte international de l’ONU relatif aux droits civils et politiques,…».

En définitive, à l’absence de ces mécanismes d’information, de contrôle et de régulation, il reviendra aux acteurs politiques, aux observateurs et aux citoyens, d’analyser et d’interpréter avec discernement, les résultats de la série de sondages politiques, qui seront diffusés durant les 17 mois qui nous séparent de la Présidentielle de 2012, malgré l’existence d’une loi d’interdiction. Aux militants des partis politiques membres de Bennoo Siggil Senegaal, submergés dans leurs réflexions par une prolifération d’analyses politiques relatives aux stratégies d’alliance pour 2012, je partage cette lumineuse pensée du stratège chinois Sun Tzu: « Ce qui, donc, est la plus haute importance dans la guerre, c'est de s'attaquer à la stratégie de l'ennemi. Le mieux ensuite, c'est de lui faire rompre ses alliances. Ne laissez pas vos ennemis s’unir. Examinez la question de ses alliances et provoquez-en la rupture et la dislocation. Si un ennemi possède des alliés, le problème est grave et la position de l'ennemi est forte; s'il n'en a pas, le problème est mineur et sa position est faible ».

Alioune SARR

Ingénieur Informaticien

Coordonnateur de l’Alliance Nationale des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

1 : CATI : Computer-Assisted Telephone Interview

2 : CAWI : Computer-Assisted Web Interviewing

3 : Wakh Sa Khalat : Emissions interactives des radios de la bande FM au Sénégal

lundi 5 juillet 2010

Sénégal: Télécoms: Contrôle des Communications Téléphoniques : Enjeux et Menaces sur la Sécurité et les Libertés: Défis et Contrôle Public et Citoyen.

Les télécommunications constituent au Sénégal un secteur dynamique qui contribue de manière significative à l’amélioration de la productivité de l’économie, à la simplification de la communication des citoyens et à la création de richesses nationales. Pendant dix ans, le secteur a connu une croissance exceptionnelle avec un taux annuel moyen de 18,8% [1]. En 2009, malgré la crise financière internationale, le taux de croissance y était de +3,8% et il a contribué directement pour une valeur de 408,4 milliards de Fcfa à la formation du Produit Intérieur Brut (PIB) évalué à 5.985,3 milliards de Fcfa, représentant ainsi 6,8% de la richesse nationale [1]. La téléphonie mobile est la locomotive du secteur, avec les services d’interconnexion et la balance des communications internationales. Au mois de mars 2010, le parc d’abonnés au mobile s’élève à 7.239.903 abonnés soit 59,48% des sénégalais. Ce marché florissant du mobile est dominé par l’opérateur historique Sonatel avec 64,1% de part de marché suivi par Tigo (32,8%) et Sudatel (3,1%). Cette forte croissance du secteur télécoms, attire de nouveaux acteurs, attise des convoitises et soulève d’importants enjeux économiques et sociaux mais aussi politiques.

Le contrôle de certains segments de la chaîne de valeur est remis en cause par le régulateur. C’est le cas des communications téléphoniques internationales, qui constituent une niche rentable à forte croissance. En 2003, le trafic international à l’arrivée au Sénégal était de 400 millions de minutes contre 76 millions au départ [2], soit un solde positif net de 324 millions de minutes. En 2006, ce trafic international à l’arrivée a explosé pour atteindre 782 millions de minutes [2]. Comment se calculent les taxes issues du trafic international ? Selon la réglementation internationale de l’IUT, pour chaque communication internationale, l'opérateur de télécoms d'origine applique une taxe aux usagers, appelée taxe de perception ou tarif. A cette taxe s'ajoute une deuxième taxe, à savoir, la taxe de répartition qui correspond au prix payé par l'opérateur d'origine pour faire aboutir l'appel. Cette taxe est négociée bilatéralement entre l'opérateur d'origine et l’opérateur de destination et est liée, au coût des installations de bout en bout de l'opérateur. Les taxes de répartition sont généralement libellées en dollars des Etats-Unis ou en droits de tirage spéciaux (DTS). L'exploitant d'origine et l'exploitant de destination partagent habituellement par moitié (50% chacun) la taxe de répartition pour déterminer le montant pour excédent de trafic que doit payer l'exploitant d'origine pour faire aboutir son trafic; cette taxe est appelée quote-part de répartition. Pour ce cas du Sénégal en 2003 qui a enregistré un excédent net de 324 millions de minutes, avec une taxe de répartition qui serait fixée à deux unités, les opérateurs télécoms auraient reçu des opérateurs étrangers une quote-part de répartition de 324 millions de dollars pour acheminer leurs appels, soit un dollar pour chaque minute de solde net ! A l’évidence de tels chiffres aiguisent beaucoup d’appétit !

En raison de ces énormes enjeux financiers, mais aussi d’incertitudes avouées par les autorités publiques sur le volume réel du trafic international, le Président de la République a signé le décret numéro 2010-632 le 28 mai 2010, instaurant au Sénégal, un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant au Sénégal. A travers ce décret qui modifie le contexte d’exploitation des télécoms, l’Etat s’est fixé une double mission de contrôler le trafic international et d’instaurer une nouvelle tarification et un objectif financier très ambitieux, de pouvoir collecter 270 milliards de Fcfa en cinq ans, soit 54 milliards de Fcfa par an représentant 10% du chiffre d’affaires annuel du secteur. D’où sont tirés ces chiffres prévisionnels sur le seul segment des communications téléphoniques internationales où à priori, les autorités sont dans le doute au point d’avoir besoin de créer un observatoire ? Notons que dans la lettre de politique sectorielle des télécommunications signée en janvier 2005 [3], l’Etat du Sénégal s’est fixé deux objectifs essentiels : « renforcer la position du Sénégal comme pôle d’excellence dans les télécommunications et carrefour préférentiel pour le développement de services de télécommunications dans la sous région» et « veiller à la prise en compte des questions liées à la sécurité et à la souveraineté nationale ». L’application de ce décret risque de compromettre ces deux objectifs, si certains défis ne sont pas levés et des réformes opérées:

Þ Le défi de la transparence et de la bonne gouvernance dans l’attribution des licences : conformément à la lettre de politique sectorielle du secteur des télécommunications pour une régulation efficace fondée sur la transparence, les actions de l’Artp devront être inscrites dans une démarche qui s’appuie sur des procédures de consultation et de concertation entre l’Etat, les acteurs du marché et les associations de consommateurs et sur un respect strict des procédures prévues par le code des marchés publics. Le tollé public soulevé par le choix de Global Voice, ne confirme pas le choix d’une telle démarche,

Þ Le défi de la compétitivité de la destination Sénégal dans le routage des appels téléphoniques : sans une harmonisation sous régionale des tarifs des communications téléphoniques internationales à l’arrivée, cette nouvelle taxe instaurée par ce décret pourrait favoriser le contournement du Hub Sénégal par les opérateurs étrangers vers des sites plus attractifs,

Þ Le défi de la conformité avec la réglementation internationale de l’Iut: Pour garantir la pérennité d’un tel système, l’Etat du Sénégal doit harmoniser avec l’IUT qui travaille actuellement sur une réforme du système international des taxes de répartition, avec les travaux de sa commission d'études du secteur de la normalisation des télécommunications,

Þ Le défi de la compétitivité des opérateurs de télécoms au Sénégal, lors des négociations bilatérales sur les taxes de répartition avec la présence du 3ème acteur Global Voice qui implique un « ménage à trois » dont le mode de collaboration devra être bien défini pour éviter des dysfonctionnements,

Þ Le défi de la sécurité et du respect de la vie privée des citoyens avec l’accès, l’exploitation et le contrôle des informations sur les communications téléphoniques internationales par l’opérateur privé Global Voice,

Þ Le défi de la modernisation technologique et de l’innovation: pour éviter que les usagers de la diaspora basculent massivement vers les solutions de la téléphonie sur IP (Skype, Google Phone), les opérateurs de télécoms devront poursuivre une politique de modernisation de leurs réseaux, d’innovation et de qualité dans les produits et services proposés.

Au-delà de ces défis à lever, une analyse prospective pousse à la sérénité et à la prudence si on observe attentivement l’évolution de la croissance du secteur des télécoms ces treize dernières années. En effet, d’un taux de croissance moyen de 18,8% entre 1997 et 2007, le secteur s’est effondré à 7% en 2008, puis à 3,8% en 2009. L’une des explications serait la saturation de la téléphonie mobile sur le marché sénégalais. L’autre raison serait l’essoufflement voire l’inadaptation du modèle économique des opérateurs dans un environnement évolutif et fortement concurrentiel. Ces chiffres de la Direction de la Prévision et de la Statistique (DPEE), illustrent bien une fragilité du secteur des télécoms qui, en raison de son poids dans l’économie nationale et de ses impacts dans tous les secteurs socio-économiques, nécessite la mise en œuvre d’une stratégie hardie de redressement qui pourrait se décliner en trois axes. Le premier axe stratégique : un projet industriel et social moderne et innovant des opérateurs télécoms qui propose des services à très forte valeur ajoutée avec des contenus sur les mobiles et qui favorise l’émergence de nouveaux acteurs comme les opérateurs mobiles virtuels (MVNO[4]) ; le projet social des télécoms devra permettre l’épanouissement des employés, respecter les principes démocratiques et de bonne gouvernance et soutenir des actions sociales dans des secteurs prioritaires de l’économie nationale avec le développement de plateformes publiques de télémédecine et de téléenseignement. Le second axe stratégique : un mode de régulation publique réactualisé et renforcé qui garantit une concurrence saine et loyale, en restant équidistant de tous les acteurs avec la mise en place d’institutions et de structures pour surveiller ce nouvel environnement des télécoms avec des pouvoirs de réglementation, de contrôle mais surtout de sanction. Le troisième axe stratégique : la mise en place de structures et mécanismes de contrôle public et citoyen, pour protéger les libertés publiques et garantir la protection de la vie privée des citoyens :

Þ Audit technique pour détecter et neutraliser toutes les infrastructures d’écoutes illégales hors du champ des opérateurs légalement installés,

Þ Audit des activités de l’opérateur de contrôle Global Voice : technique, organisation, sécurité, etc.

Þ Campagne nationale de sensibilisation des citoyens sur leurs droits, sur les obligations des opérateurs de télécoms à respecter la vie privée des citoyens et sur les dispositions pénales qu’ils encourent en cas de violation, comme la remise à des tiers de leurs numéros de téléphones sans leur consentement, ou leur mise sous écoute sans une autorisation légale ou administrative,

Þ Activation ou création d’une commission interministérielle dirigée par un Magistrat, pour contrôler toutes les écoutes téléphoniques judiciaires intervenues autorisées par des commissions rogatoires,

Þ Activation ou création d’une commission nationale indépendante de contrôle des écoutes téléphoniques sécuritaires, composée de parlementaires appuyés par des experts. Ces deux structures de contrôle des écoutes téléphoniques, doivent être soumises aux exigences du secret de défense et confiées à des personnalités hors de tout soupçon, choisies pour leur intégrité et rigoureuses quant au respect des principes républicains,

Þ Mise en place d’une commission nationale d’audit et de contrôle des activités de télécoms composée de : parlementaires, journalistes, experts indépendants, représentants du gouvernement, des partis politiques, de la société civile, etc.

Þ Evaluation régulière des activités télécoms par la commission nationale de contrôle et présentation annuelle des conclusions dans une séance publique au parlement.

En définitive, le secteur des télécoms continuera à être rentable et à forte croissance pendant de longues des années encore si des stratégies de réformes audacieuses sont mises en œuvre. Les prévisions de l’Etat du Sénégal de collecter 54 milliards de Fcfa par an sur le seul segment de la balance des communications téléphoniques internationales paraissent trop optimistes eu égards aux différentes contraintes internes et externes qui pèsent sur l’environnement. Pourtant l’Etat du Sénégal qui depuis 2005, encaisse chaque année 130 milliards de francs de taxes diverses, pouvait bien utiliser le levier fiscal pour opérer un prélèvement supplémentaire de revenus tirés du secteur des télécoms. Ensuite il se pose l’opportunité de placer cette réforme dans une perspective de se priver éventuellement d’un don de 270 milliards de FCfa, dans une économie qui connaît un déficit budgétaire structurel annuel de plus de 3%.

Mais encore, le développement exceptionnel des télécommunications, a aussi favorisé la prolifération de systèmes légers d’écoute et de localisation des citoyens, avec la généralisation des outils de géolocalisation dans les ordinateurs et dans les téléphones multimédias et l’apparition de simulateurs de réseaux mobiles appelés IMSI Catcher[5] qui interceptent illégalement les communications mobiles des citoyens. En plus, lorsqu’ils sont combinés à des solutions de Datawarehouse [6], ces outils permettent des croisements sur les données des appels téléphoniques des usagers, pour tisser une toile des relations de l’abonné avec en plus la localisation exacte de ses interlocuteurs. Autrefois sous le contrôle de l’Etat souverain, aujourd’hui ces instruments de surveillance des communications mobiles sont accessibles, et parfois vendus sur internet. Pour se prémunir, l’Etat devra s’équiper de systèmes sophistiqués de détection de ces systèmes clandestins d’écoute présents sur le territoire national. La justice et les structures de régulation devront veiller au respect du code des télécommunications et lutter contre les écoutes téléphoniques illégales. Les citoyens devront veiller à protéger leurs libertés publiques, à travers des actions citoyennes voire même des procès collectifs intentés contre les acteurs du secteur des télécoms, qui auraient enfreint les règles de respect de la vie privée, comme par exemple, la remise non autorisée à des tiers, des répertoires téléphoniques mobiles ou une mise sous écoute sans autorisation judiciaire ou administrative. Enfin, le décret numéro 2010-632 du 28 mai 2010 permet à un opérateur privé à capitaux étrangers, Global Voice, l’accès et l’exploitation des informations sur toutes les communications téléphoniques internationales au Sénégal, dont celles relatives à la valise diplomatique et à la défense nationale. Sous ce regard, il pose un problème de sécurité publique et de souveraineté nationale, qui doit être cerné pour préserver et renforcer au Sénégal, un Etat républicain et démocratique garantissant la liberté de ses citoyens. Pour toutes ces raisons, une vigilance publique et citoyenne s’impose !

Alioune SARR

Ingénieur Informaticien

Coordonnateur de l’Alliance Nationale des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

1 : Sources : Situation Economique et Financière en 2009 et perspectives en 2010-DPEE

2 : Observatoire de l’Agence Régulation des Télécoms et des Postes (ARTP) au 31 mars 2010 et rapport d’activités de la Sonatel en 2006

3 : Lettre de politique sectorielle du secteur des Télécoms au Sénégal – Janvier 2005

4 : MVNO : Mobile Virtual Network Operator

5: IMSI : International Mobile Subscriber Identity.

6 : Datawarehouse : Entrepôt de données désigne une base de données utilisée pour collecter, ordonner, journaliser et stocker des informations provenant de base de données opérationnelles et fournir une aide à la décision.