dimanche 26 décembre 2010

Fiabilité du Processus électoral et Veille Post Audit: Urgences, Missions et Méthodes Proactives

A son Excellence Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal.

Monsieur le Président,

Le 3 avril 2010, à la veille de la célébration du 49-ème anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance, dans un discours adressé à la Nation, vous déclariez « (…) J’ai demandé à l’Union européenne et à la France de nous envoyer des experts pour tester le fichier électoral et mettre en place, avec nous, pouvoir et opposition, un Comité de veille permanent pour le surveiller jusqu’aux prochaines élections de 2012 ». Les partenaires du Sénégal que vous aviez solennellement sollicités ont répondu favorablement à votre appel, l’audit du processus électoral a démarré le 13 octobre 2010 et s’achèvera le 31 décembre 2010. Les experts indépendants de la mission, présenteront le 13 janvier 2011, le rapport général sur l’audit du processus électoral, qui comprendra les observations, les conclusions et les recommandations pour améliorer l’intégrité, la fiabilité et l’efficacité du processus et du fichier électoral constitué à ce jour de 4.917.160 électeurs. Comme tous les démocrates, nous attendons de prendre connaissance des résultats officiels de cette importante mission.

La révision des listes électorales démarre le 3 janvier 2011. Conformément à votre proposition, le comité de veille doit surveiller cette étape cruciale du processus électoral. Il est souhaitable que le décret de sa création soit signé et promulgué avant le 3 janvier 2011, pour lui permettre d’être opérationnel et veiller sur le processus électoral dans le strict respect des lois et des règlements du Sénégal. De la même façon, la mise en œuvre effective des recommandations issues de l’audit, ne saurait se faire sans une modification de certains articles du code électoral. Ainsi, il est urgent que le parlement soit convoqué en procédure d’urgence, pour modifier la loi électorale et intégrer les recommandations issues du rapport officiel de la mission d’audit qui sera présenté le 13 janvier 2011 ainsi que tous les autres points d’accord entre les partis politiques. Sous ce regard, un consensus devra être trouvé entre les acteurs politiques, pour le démarrage des travaux de révision du code électoral. Sans la prise en compte de ces urgences, les actions du comité de veille risquent d’être compromises ou frappées d’illégalité et ainsi, faire l’objet de contestations politiques.

Le comité de veille sur le processus électoral est une innovation qui vient renforcer l’arsenal de surveillance de notre système électoral. De toute évidence, il ne sera utile à la Nation, que dans sa capacité à réconcilier tous les acteurs politiques avec le processus électoral, à contribuer à une mise en œuvre effective des recommandations de l’audit, et à travers des propositions innovantes à l’image de la mission d’audit, de contribuer de manière significative à l’amélioration de l’intégrité, de la fiabilité et de l’efficacité du processus électoral. Ainsi, dans sa mission, le comité de veille produira de manière périodique, méthodique et proactive des recommandations argumentées sur toutes les étapes du cycle électoral: l’adéquation du cadre légal; l’adéquation des procédures électorales et des préparatifs ; la délimitation des circonscriptions électorales; l’inscription des électeurs; les programmes d’information et d’éducation des citoyens; l’enregistrement des partis politiques et des candidats; la liberté d’assemblée et de mouvement des partis politiques; la liberté d’expression et l’accès équitable aux médias; l’utilisation des ressources publiques pour fins de campagne; les activités du jour de l’élection; le dépouillement des votes et la compilation des résultats; l’existence de procédures impartiales appropriées pour déposer des plaintes, et de procédures de règlement légitimes relativement aux résultats des élections. Pour réussir cette mission de surveillance, les recommandations consensuelles adoptées par le comité de veille devront aussi être mises en œuvre de manière effective.

A travers la création du comité de veille, l’Etat du Sénégal décide de Co-surveiller avec les partis politiques et la société, une information stratégique pour la sécurité, l’intégrité et la stabilité de la Nation : l’information électorale. Par ce dispositif, notre pays se dotera d’une intelligence électorale collective et consensuelle, à l’image des grandes démocraties qui, après avoir stabilisé leurs processus démocratiques, ont construit des intelligences économiques, sociétales, politiques, juridiques ou technologiques. Dans la mise en œuvre du comité de veille, peuvent être des sources d’inspiration les meilleures pratiques dans les systèmes d’informations électorales et les travaux réalisés dans le domaine de la veille stratégique de l’information (Environmental Scanning), que le Professeur émérite Humbert LESCA, docteur d’Etat en management stratégique de l'information à l’université de Grenoble, définit comme, comme « un processus informationnel volontariste par lequel l’organisation se met à l'écoute anticipative ou prospective des signaux précoces de son environnement socio-économique dans le but créatif d'ouvrir des opportunités et de réduire les risques liés à son incertitude».

En nous appuyant sur les travaux de ce chercheur et les expertises dans la veille technologique, nous pouvons distinguer quatre principales tâches de veille sur le processus électoral au Sénégal :

1-Le ciblage de la veille sur le processus électoral, qui consistera à déterminer les acteurs et les activités à surveiller ainsi que les sources d’informations à mettre en œuvre. L’objectif du ciblage, sera de définir la cartographie du processus électoral composée de trois documents dont le premier est un tableau à deux entrées avec en lignes, les acteurs du processus électoral: Commissions administratives, Direction des opérations électorales, Direction de l’Automatisation du fichier, CENA, Tribunaux départementaux, Conseil Constitutionnel ; en colonnes leurs activités : Inscriptions, Modification, Enregistrement numérique, Contrôle, Production, Distribution des cartes d’électeurs, Ramassage des procès verbaux, Validation du vote, Gestion du contentieux. Le deuxième composant de la cartographie, est la liste des sources d’information à scruter : listes électorales, registres des opérations de révision électorale, Listes d’émargement, Bases de données du fichier électoral de la DAF et/ou de la CENA, Procès verbaux détenus par les membres de bureaux de votes, Rapports des cours et tribunaux. Le troisième et dernier composant de la cartographie électorale : la liste des mots clés qui permettront de déclencher des recherches d’informations : Inadéquation avec le cadre légal, Inscription multiple, Mauvaise référence d’un bureau de vote, Invalidation d’une inscription, Invalidation d’un vote.

2-La traque des informations est l’opération proactive par laquelle le comité de veille se procure des informations de veille stratégique sur le processus électoral. Les informations peuvent être obtenues dans les locaux du Ministère de l’Intérieur ou de la CENA (traqueurs sédentaires) et sur le terrain (traqueurs mobiles) dans les commissions administratives, dans les bureaux de vote ou dans les tribunaux administratifs. Pour harmonier la collecte des informations, les traqueurs disposent de fiches de captage normalisées, en papier ou sous forme d’une simple feuille Excel ou Word.

3-Traitement, circulation et remontée des informations est l’opération par laquelle un traqueur fait parvenir ses informations de veille électorale au comité de veille, en l’occurrence au Président du comité, qui devra les stocker dans un lieu sécurisé et constituer une base de connaissances électorales pour établir les rapports, les avis et les recommandations. Ces informations collectées seront mises en commun et rendues accessibles aux membres du comité de veille, aux citoyens, et aux principaux acteurs du processus électoral : Ministère de l’intérieur, CENA, partis politiques et la société civile.

4-Animation du comité de veille : le comité de veille ne doit pas être un comité amorphe et inactif. Il devra être proactif. Le président du comité sera un coordonnateur de tâches, connaisseur des questions électorales, et stimulera l’action des membres ainsi que leur créativité.

Quasiment, toutes les informations nécessaires à la cartographie électorale existent au Ministère de l’Intérieur. A titre d’illustration : le comité de veille pourrait surveiller le système d’inscription des électeurs dans les commissions administratives, à travers l’observation de ces trois indicateurs de performance : l’exactitude qui indique que les renseignements sur l’électeur ont été inscrits sur la liste électorale correctement, l’exhaustivité qui exprime que la proportion des électeurs dans les registres des commissions administratives sont réellement inscrits sur les listes électorale, l’actualité qui indique que le jour de l'élection, les renseignements relatifs à un électeur sont conformes à la situation actuelle. Les taux couramment admis pour ces indicateurs dans les processus électoraux stabilisés sont respectivement de 90%, 97% et 85%.[1] Ces taux expriment que neuf citoyens admis dans les commissions administratives sur 10 seraient inscrits sur la liste électorale; des erreurs à la saisie de données pourraient se produire dans trois inscriptions sur 100 et dans huit cas et demi sur 10, les renseignements seraient à jour le jour de l’élection. Avons-nous atteint de tels objectifs de performance ?

Sans un tel dispositif de surveillance, le comité de veille risque d’être un haut lieu de philippiques stériles, alors qu’il doit être une source d’informations de pilotage du processus électoral. En attendant les recommandations de la mission d’audit, le comité de veille pourrait s’autosaisir dès son installation, de deux dossiers qui constituent une entorse à la fiabilité et à la sécurité du processus électoral: le premier figure dans tous les rapports d’observation de la CENA et n’a pas encore trouvé de solution: la gestion des 145 bureaux de vote sous abris provisoires de Samelah à Touba, soit près de cent mille électeurs qui votent presque en plein air le jour des élections, dans des conditions d’extrême difficulté. Le Ministère de l’Intérieur y gère difficilement la logistique électorale, la CENA et les partis politiques y contrôlent difficilement le vote et il arrive qu’un électeur y passe la journée à rechercher en vain son bureau de vote ! Il est évident que toutes les conditions d’un vote fiable, sécurisé et transparent n’y sont pas réunies.

En raison du poids politique et électoral de Touba, le comité de veille, en collaboration avec les services du Ministère de l’Intérieur, les autorités religieuses et politiques de Touba et les partenaires impliqués dans le processus électoral, pourra proposer des solutions urgentes pour Samelah, à l’image de celles mises en œuvre avec l’Union Européenne en Cote d’Ivoire, où plus de 3.200 bureaux de votes mobiles ont été fabriqués dans le cadre de l’élection présidentielle du 31 octobre 2010. Le second dossier urgent est la gestion du stock des cartes d’électeurs et des cartes d’identité numérisées qui sont en souffrance dans les sous-préfectures et préfectures depuis 2007. D’autres dossiers aussi urgents pourront être tirés des recommandations faites par la CENA depuis 2007 : éviter comme en 2007, que les bulletins de vote de Candidats à l’élection présidentielle soient absents ou inversés dans des bureaux de vote à Dakar et à Thiès; éviter comme en 2009, que le vote soit annulé dans certains lieux de vote dans la région de Kolda, à Ndorna, à Kandiaye ou à Kandia où le matériel électoral et les bulletins de vote étaient arrivés après 18H et le vote autorisé par arrêté de l’autorité administrative en l’absence des représentants des partis politiques.

Par ailleurs, il serait souhaitable que le décret de création du comité de veille qui sera soumis à votre signature, tienne compte de ces différentes tâches ainsi que des contraintes évoquées sur le processus électoral. Dans ses prérogatives, le comité de veille devra disposer de toutes les sources d’informations nécessaires à sa mission de cartographie électorale. Sans doute, il ne manquera pas des séides politiques, prêts à dénaturer le décret, à banaliser le comité de veille pour l’éloigner de ses objectifs, d’être une structure trans-partisante de propositions et de surveillance du processus électoral. D’autres plus subtils, adeptes du statu quo, tenteront de vous convaincre à l’idée que le comité de veille a pour unique mission de «veiller seulement à la mise en œuvre des recommandations de l’audit», tâche que n’importe quel étudiant de 1ème année pourrait bien faire.

Tous ceux là, font semblant d’oublier que l’absence d’accord et de consensus politique entre le pouvoir et l’opposition, et l’existence dans le processus électoral de maillons faibles non résolus, déjà à l’origine du boycott par l’opposition des élections législatives de juin 2007, sont à l’origine de l’audit du processus électoral et de la création du comité de veille. Si par malheur, ces séides politiques arrivaient à leurs fins, le comité de veille dépouillé de sa substance initiale, aura perdu toute la consistance et la crédibilité qui lui auraient permis d’assurer convenablement sa mission de veille, de proposition et de surveillance du processus électoral, voire même, de médiation en cas de crise électorale. Dans ces conditions, les démocrates et les républicains sénégalais, n’auront plus comme seul recours, que la mobilisation du peuple durant les moments électoraux, pour protéger l’expression de sa volonté et préserver au Sénégal une République démocratique.

Dans l’espoir que ce comité de veille permette d’améliorer l’intégrité, la fiabilité et l’efficacité du processus électoral, Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'expression de mes respectueuses salutations.

Alioune SARR

Coordonnateur des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

http://aliounesarr.blogspot.com/

[1] : Sources Nations Unies, par Harry Neufeld Conseiller en matière d'administration électorale

mercredi 24 novembre 2010

Sénégal: Démarrage de la Révision des listes électorales concomitamment avec l’Audit du processus électoral

Questions à Me Ousmane Ngom, Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur.

Le Président de la République vient de signer le décret n° 2010-1519 du 15 novembre 2010 fixant au dimanche 26 février 2012 la date de la prochaine élection présidentielle. Par la même occasion, une révision exceptionnelle des listes électorales a été instituée par un autre décret n° 2010-1521 du 16 novembre 2010. Le lundi 22 novembre 2010, un communiqué du Ministère de l’Intérieur publié, annonce la révision des listes électorales dans la période du 1 décembre 2010 au 30 juin 2011. Pourtant, une mission d’audit du processus électoral, conduite par des experts mandatés par l’Union européenne et l’Usaid est en cours jusqu’au 30 janvier 2011. Comme d’habitude, aucune concertation entre les acteurs du jeu électoral n’a précédé ces décisions. Le mercredi 24 novembre 2010, s’est tenu au siège de la CENA, une réunion du comité technique de l’audit du processus électoral. Dès le début de cette rencontre, les représentants de Bennoo Siggil Senegaal, de Bennoo Taxawal Sénégal, et des non-alignés, annoncent la suspension de leur participation aux travaux techniques. Le motif : l’incompatibilité des travaux de la mission d’audit du processus électoral avec les tâches de révision des listes électorales. Quels paradoxes !

Plus exactement, durant cette dernière décennie au Sénégal, pour chacune des missions d’audit réalisées sur le fichier électoral, le Ministère de l’Intérieur a toujours demandé et obtenu, qu’il lui soit laissé le temps de terminer d’abord les travaux d’intégration et de validation de toutes les données issues des commissions administratives d’inscription et de révision des listes électorales, avant de démarrer une quelconque tâche d’audit. De la même façon, les modifications sur le fichier électoral étaient toujours introduites, à partir des recommandations des rapports d’audit, jamais pendant l’audit. Ce qui était parfaitement logique, compréhensible et accepté par tous les partis politiques. Pourquoi dans le cadre de cette mission d’audit piloté par l’Union européenne et l’Usaid, beaucoup plus complexe que les précédentes, car couvrant tout le processus électoral, vouloir changer les « règles du jeu de l’audit», en démarrant la révision des listes électorales de manière concomitante avec la mission d’audit ? Ainsi, avec cet enchevêtrement de missions forcément conflictuelles, tous ceux qui, ouvertement ou dans le fond même de leur conscience, commençaient à espérer que, grâce à cette mission d’audit, le Sénégal disposerait enfin d’un processus électoral stabilisé, permettant des élections libres, crédibles et transparentes, ont à présent des motifs d’émettre de sérieuses réserves. Est-ce surprenant ?

Pour un régime politique, où le respect du calendrier électoral est un fait d’exception, nous sommes bien fondés à nous interroger sur la pertinence et sur l’urgence de convoquer le corps électoral sénégalais, à quinze mois de la date de l’élection présidentielle, alors que la loi électorale dispose dans son article LO.128 que « les électeurs sont convoqués par décret publié au Journal Officiel au moins soixante dix (70) jours avant la date du scrutin ». L’argument défendu par les souteneurs du Président de la République, selon lequel, il s’agirait « d’un acte constitutionnel d’une très haute portée qui a l’avantage de couper court aux spéculations sur le respect éventuel du calendrier républicain », n’est que l’illustration d’une inquiétante déliquescence des institutions de la République du Sénégal. Le Chef de l’Etat, puis le Ministre d’Etat en charge de l’intérieur organisateur des élections, n’ont ils pas annoncé plusieurs fois, que l’élection présidentielle se tiendrait bien à la bonne date ?

Mais à vrai dire, ce qui surprend et inquiète tous les démocrates et laisse pantois nos partenaires de l’Union Européenne et de l’Usaid engagés dans l’audit du processus électoral, c’est l’annonce du démarrage de la révision des listes électorales le 1 décembre 2010, alors que les experts chargés de l’audit sont en mission sur le terrain jusqu’au 31 janvier 2011. Cette nouvelle révision prévue pour durer sept mois, sans aucune évaluation publique de la précédente révision qui a eu lieu du 1 février 2010 au 31 juillet 2010, et qui n’aura enregistré que 18.921 inscrits, seulement ! Pour donner les signes d’une bonne gouvernance de la question électorale, il aurait été souhaitable que le Ministère de l’intérieur communiquât sur ce niveau exagérément faible du nombre d’inscrits, avant de démarrer une nouvelle révision, avec le risque d’avoir les mêmes résultats, car la population sénégalaise n’a pas beaucoup évolué de juillet 2010 à décembre 2010, et la délivrance des cartes nationales d’identité continue à se faire au compte-gouttes. C’est pourquoi, il reviendra à tous les démocrates de se tenir debout, pour surveiller attentivement l’évolution du fichier électoral sénégalais, pendant et après cette nouvelle révision annoncée pour le 1er décembre.

Mais encore, la mission d’audit en cours, n’est qu’à sa première phase de revue du système d’inscription avec l’analyse du code électoral, de la Constitution, etc. Il reste aux experts, l’audit des trois phases importantes du processus électoral : la chaîne d’inscription des électeurs (audit de la DAF, de la CENA, des commissions administratives, etc.), l’examen des fichiers électoraux et à examiner l’adéquation technologique qui testera la fiabilité ou non de la biométrie. Puis, les experts produiront en janvier 2011, un rapport d’audit, décrivant les forces et les faiblesses du processus électoral sénégalais ainsi que les recommandations normalisées. C’est sous l’éclairage de ces résultats d’audit amendés et complétés par les partis politiques et les organisations de la société civile, que l’Etat du Sénégal prendra des actes réglementaires, pour une mise en œuvre effective par les services techniques des Ministères concernés, sous le contrôle de la CENA et la supervision du comité de veille proposé par le Chef de l’Etat et accepté par tous les acteurs politiques et par nos partenaires de l’Union européenne et par l’Usaid. Ainsi, une révision exceptionnelle pourrait être ouverte aussitôt après la publication officielle des recommandations au mois de février 2011, pour permettre à toute la population électorale recensée de figurer dans les listes électorales, grâce à un nouveau processus électoral fiabilisé et sécurisé. Voilà le consensus qui a été accepté par tous les partis politiques dont ceux réunis au sein de Bennoo Siggil Senegaal, et qui a été acté par la mission exploratoire de l’Union européenne et l’Usaid. D’ailleurs, lors de la cérémonie d’installation du comité de pilotage, Me Ousmane Ngom n’avait-il pas annoncé à juste titre, qu’ « à la fin des travaux de mise en place, l’Etat prendra les actes réglementaires nécessaires pour l’officialisation des recommandations de la mission» ?

En attendant l’arrêté ministériel portant révision exceptionnelle des listes électorales du 1 décembre 2010 au 30 juin 2011, qu’il me soit permis d’adresser au Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, ces questions relatives à sa surprenante décision de démarrer la révision des listes électorales concomitamment avec l’audit du processus électoral :

Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur :

1) Pourquoi démarrer cette révision des listes électorales avant la fin de la mission d’audit du processus électoral, alors que les procédures même de cette révision ainsi que les structures en charge de ces élections (CENA, DAF, commissions administratives), sont auditées avec une forte probabilité qu’elles subissent des réformes à l’issue de cette mission ?

2) Quelle est l’urgence de démarrer une révision des listes électorales, au moment même où vos collaborateurs et collègues du Ministère de l’Intérieur et de la CENA, sont mobilisés avec les experts de l’Union Européenne et de l’Usaid dans la mission d’audit du processus électoral ?

3) Si à l’issue de cette mission d’audit, l’Union européenne et l’Usaid acceptaient une vielle requête de l’opposition d’accompagner l’Etat du Sénégal durant tout le processus électoral en vue de la Présidentielle de 2012, en recrutant de nouveaux observateurs dans les commissions administratives d’inscription, quel sera le sort de ces nouveaux représentants ?

4) Que ferez-vous lorsque la mission d’audit aura détecté que la biométrie présente des défaillances, et qu’il va falloir rechercher un système plus fiable pour contrôler les inscriptions multiples, dont celles relatives à la révision annoncée pour le 1er décembre 2010 ? Quid des électeurs qui, en toute bonne foi, se seraient inscrits dans le cadre de cette nouvelle révision ?

5) Que ferez-vous, lorsque, dans le cadre de cette mission d’audit, l’agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD), à partir du répertoire national des villages et quartiers du Sénégal, aura réalisé des enquêtes exhaustives sur la population, et que les croisements entre la carte électorale, les listes électorales et la population électorale, auront décelé des incohérences ou des anomalies ? Que vaudront au moment des recommandations, les résultats de ces enquêtes de l’ANSD, alors que les opérations de révision modifient la structure de la population enquêtée ?

6) Enfin, croyez vous réellement à cette mission d’audit du processus électoral et considérez vous qu’elle entraînera de réels changements sur le processus électoral ? Confirmez vous toujours vos propos tenus lors de l’installation du comité de pilotage et du comité technique le 13 octobre 2010, où vous déclariez que : « Je fonde beaucoup d’espoir sur les conclusions des travaux de la mission d’audit du fichier électoral et du processus qui permettront de créer les conditions de leur amélioration au grand bénéfice de notre peuple» ?

Monsieur le Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, en démarrant la révision des listes électorales le 1er décembre 2010, avant la fin de la mission d’audit du processus électoral actuellement en cours jusqu’au 30 janvier 2011, vous semblez vouloir vous exonérer de la supervision par le Comité de veille proposé par le Président de la République et vous risquez de parasiter les travaux de la mission d’audit. Ainsi, lorsque vous annonciez devant la représentation nationale lors du vote du budget de votre Ministère que « il faut souhaiter que toutes les parties s’engagent à respecter les résultats de cet audit. Ceci est fondamental, parce que, dans un exercice de ce genre, la bonne foi est essentielle », je me permets de vous demander de commencer par donner l’exemple, en attendant tout bonnement la fin de la mission d’audit du processus électoral avant de démarrer la révision des listes électorales. En homme politique averti, vous devez savoir, que les sénégalais en général et Bennoo Siggil Senegaal en particulier, n’accepteront aucun des résultats, s’il s’avère que la mission d’audit a été torpillée au départ et que ses conclusions sont biaisées.

Cette mission d’audit du processus électoral doit réussir, parce qu’elle est salutaire pour la stabilité du processus électoral qui détermine la solidité et la pérennité de nos institutions. Elle peut réussir si ses experts travaillent librement et en toute indépendance, dans une franche et loyale collaboration avec les services de l’Etat. La mission échouera, si elle est parasitée ou si ses conclusions sont sabordées. En définitive, l’échec de cette mission, serait d’abord l’échec du Chef de l’Etat, Me Abdoulaye Wade, qui a pris des engagements solennels devant la Nation. Puis ce serait l’échec personnel du Ministre d’Etat, Ministre de l’intérieur, qui aura été incapable de conduire une mission où, il lui est demandé d’une part, de laisser travailler des experts indépendants sans interférence, d’autre part d’appliquer rigoureusement et en toute bonne foi, les recommandations validées par toutes les parties impliquées dans l’audit du processus électoral. Ensuite ce serait un échec de la classe politique sénégalaise et de la société civile, incapables de s’accorder sur un consensus politique sur un processus aussi crucial pour notre démocratie. Cet échec serait aussi un désaveu et un camouflet pour nos partenaires de l’Union européenne et de l’Usaid, qui auront investi inutilement sur cette mission et nourri de vains espoir sur le Sénégal. Enfin un tel échec entraînerait un discrédit international de l’Etat du Sénégal, au moment même où le vent de la démocratie souffle partout en Afrique de l’Ouest, et où la plupart des pays ont dépassé le stade primitif des processus électoraux contestés. Si un tel échec survenait, alors le peuple sénégalais pourra faire sien ce mot de Friedrich Nietzsche : «L'Etat est le plus froid des monstres froids. Il ment froidement. Et voici le mensonge qui s'échappe de sa bouche: « Moi l'Etat, je suis le peuple»».

Alioune SARR

Coordonnateur des experts de Bennoo Siggil Senegaal

Coordonnateur des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

http://aliounesarr.blogspot.com/

Nota Bene : A ce jour, les représentants de Bennoo Siggil Senegaal ne disposent d’aucune connaissance quant aux rapports provisoires produits par les experts de l’Union Européenne et de l’Usaid. Leur rapport global sera présenté au mois de janvier 2011. C’est en ce moment, que les amendements seront faits. Ceci nous met à l’aise dans notre vigilance quant aux actes posés par les uns et par les autres.

vendredi 23 juillet 2010

Sondages politiques: Autoriser, Contrôler et Réguler pour Garantir les droits des citoyens à une information objective et non erronée

http://www.walf.sn/contributions/suite.php?rub=8&id_art=66060

http://www.nettali.net/Sondages-politiques-Autoriser.html

http://www.sudonline.sn/spip.php?article3133

http://www.leral.net/Sondages-politiques-Autoriser-Controler-et-Reguler-pour-Garantir-les-droits-des-citoyens-a-une-information-objective-et_a10115.html

Un sondage est une méthode statistique, visant à donner une indication quantitative de l'opinion d'une population au moyen d'un échantillon représentatif, qui correspond à un modèle réduit de la population. Les personnes présentes dans l’échantillon, doivent refléter fidèlement l’ensemble de la population. Deux méthodes permettent de construire un échantillon ou plan de sondage : avec les méthodes aléatoires, les personnes à interroger sont choisies au hasard ; avec les méthodes des quotas, les personnes choisies ont les mêmes caractéristiques sociodémographiques que l’ensemble de la population, qui est décomposée en sous groupes homogènes, selon des critères de partitionnement en rapport avec la thématique de l’enquête : lieu géographique, classe d’âge, sexe ou catégorie socioprofessionnelle. Cette méthode est la plus répandue, en raison de la rapidité de la mise en œuvre.

Un sondage fiable, est un outil d'aide à la décision efficace pour l’éclairage des choix des dirigeants politiques, économiques ou sociaux. Pour apprécier sa fiabilité, un sondage doit répondre au double critère d'être scientifiquement valide et intellectuellement honnête. Les théories mathématiques ont apporté des solutions de validation scientifique des sondages, grâce à diverses méthodes: constituer des échantillons probabilistes par quotas avec l’algorithme CUBE, contrôler l’équilibre d’un échantillon avec l’estimateur d’Horvitz-Thompson, redresser les échantillons avec les algorithmes itératifs de calage, mesurer la marge d’erreur avec l’écart-type, préciser les estimations avec la Loi de Gauss, le Théorème central limite, la Loi de Bernoulli, etc. En revanche, c’est la compétence et la déontologie de ses concepteurs, qui détermineront la crédibilité d’un sondage.

A vrai dire, même lorsqu’ils sont parés de ces deux qualités, les sondages ne sauraient être des panacées et leurs concepteurs les gourous de l’analyse infaillible. Les sondages se sont souvent trompés. Un exemple est célèbre dans l’histoire des Etats-Unis: lors des élections présidentielles de 1948, les instituts de sondage prévoyaient une victoire écrasante du candidat républicain Dewey face au démocrate Truman. Pourtant, ils se sont complètement trompés, parce que le sondage reposait sur une enquête réalisée au téléphone, qui était l’apanage des riches à cette époque, alors que Truman avait le soutien des couches les plus défavorisées ! Il existe dans les sondages, diverses sources d’erreurs et de biais: absence de neutralité et d’impartialité de l’organisme sondeur ; erreurs de mesure, lorsque l’échantillon choisi n’est pas représentatif ; biais de couverture de la population; bais sur les questionnaires, où la question influence la réponse ; la non-réponse, où un individu dûment sélectionné par le plan de sondage n’a pu être observé pour une raison ou une autre.

Au Sénégal, il faut ajouter à ces biais classiques, des contraintes spécifiques: l’irrégularité d’enquêtes exhaustives comme le recensement de la population, qui ne permet pas d’avoir des statistiques fiables pour résoudre par exemple, les biais des non-réponses ; l’inaccessibilité de certaines catégories de la population, qui ne favorise pas les enquêtes ‘’face à face’’ ; le taux de pénétration faible du téléphone fixe et internet: seuls 292.625 sénégalais sont équipés de téléphones fixes, et 63.210 sont connectés à internet. Quant au téléphone mobile, même si près de deux sénégalais sur trois en disposent, l’inexistence d’un annuaire universel mobile, le coût élevé et le contexte des communications, ainsi que la difficulté d’une stratification géographique des abonnés du mobile, imposent des limites susceptibles de biaiser les échantillons. Ce sont de telles contraintes qui limitent au Sénégal, la portée des systèmes de collecte assistée par téléphone et informatique (CATI[1]) ou par internet (CAWI[2]), même si nous avons assisté récemment à leur utilisation lors des campagnes politiques.

6Mais, en dépit de toutes ces insuffisances, les sondages demeurent de précieux outils de prévision et d’anticipation des évènements dans un monde d’incertitudes et de mutations croissantes. Dans ce contexte globalisé, dominé par une économie marquée par une concurrence exacerbée et une recherche permanente de compétitivité des entreprises, ce sont surtout les sondages relatifs aux questions économiques et aux études de marché qui occupent le haut du pavé. Mais, ce sont les sondages politiques qui soulèvent le plus de polémiques et donnent lieu à des commentaires avisés et parfois passionnés, en raison de leur complexité et des enjeux qu’ils sous-tendent.

Le sondage politique vise à déterminer les opinions politiques des individus composant la population. Il arrive souvent que les sondés dissimulent leurs intentions politiques, pour des raisons diverses : autodéfense, méfiance, ignorance, hostilité, refus, etc. C’est pourquoi, le sondage politique fait systématiquement l’objet d’un redressement, à partir de clefs comme la « reconstitution du vote », qui consiste à interroger les sondés sur leurs votes passés. C’est ce qui explique la difficulté de prévoir de manière crédible et objective, les résultats électoraux pour des candidats qui n’ont jamais participé à une compétition électorale. Les études politiques rencontrent fréquemment ces cas de figure au Sénégal, en raison de la prolifération de candidatures ‘’neuves’’ à chaque élection. Malgré le fait qu’on y vote depuis 1848, les sondages politiques ne sont toujours pas autorisés au Sénégal. Ils sont même interdits depuis 1985, par la loi numéro 86-16 du 14 avril 1985 et son décret d’application numéro 86-616 du 22 mai 1986. Mais, dans la pratique, des sondages politiques confidentiels sont largement commandés par les acteurs politiques pour définir leurs stratégies, orienter leurs campagnes, argumenter leurs décisions, ou pour mesurer les impacts de certains choix publics.

Egalement, les émissions interactives Wakh Sa Khalat[3] des radios de la bande FM, peuvent être considérées comme des baromètres journaliers sur des questions politiques. Le succès enregistré auprès de l’opinion illustre une forte demande citoyenne, même si on note des velléités de parasiter ces espaces, de la part d’auditeurs militants politiques. D’ailleurs, l’heure est venue de compléter le tableau par de nouveaux baromètres sur la cote de popularité des institutions comme le Président de la République, la Justice ou la Police. De tels outils constitueraient des outils d’informations efficaces qui influenceraient positivement les tenants du pouvoir politique dans leurs actions, dans le cadre d’une gouvernance concertée et partagée. En outre, la production industrielle de ces baromètres, constitueraient d’immenses opportunités économiques pour les organismes de sondage et les sociétés spécialisées dans les nouvelles technologies. L’absence de leurs syndicats, du débat en cours sur les sondages politiques, est tout à fait paradoxale !

Ainsi, il appert que les mutations démocratiques intervenues dans notre pays, continueront d’imprimer un mouvement inflationniste dans la production et la diffusion des sondages politiques, rendant désuet leur cadre institutionnel et légal. Cette distorsion entre le droit et la réalité, favorise fatalement l’émergence d’organismes de sondage, qui auront tendance à s’exonérer des contraintes de la validité scientifique et des règles de transparence qu’exige une bonne gouvernance publique. Pour protéger notre démocratie contre de tels dangers et pour garantir aux citoyens leurs droits de bénéficier d’une information objective et non erronée, il appartiendra d’abord aux organismes de sondages de définir et de publier leur code déontologique en précisant les droits des personnes sondées, des clients et du public. Ensuite, l’Etat du Sénégal devra démarrer le processus de réorganisation du secteur des sondages politiques, en abrogeant la loi 86-16 du 14 avril 1985 qui les interdit, et en procédant à des réformes institutionnelles avec la création d’une commission nationale des sondages. Cette commission composée de parlementaires, de magistrats et d’experts, aura comme mission, de contrôler techniquement la validité scientifique et de réguler la publication et la diffusion des sondages pour protéger les citoyens contre la diffusion d’informations biaisées de nature à fausser le jeu démocratique.

Dans sa mission, la commission nationale des sondages devra dérouler des programmes nationaux d’information des citoyens sur leurs droits sur les sondages ainsi que les dispositions administratives et réglementaires de recours et de contestation. Elle fournira aussi à l’attention des sociétés de médias et des journalistes, des séminaires d’échanges et de formation sur l’exploitation et l’interprétation rigoureuse et objective des résultats des sondages. Evidemment, ce processus de réformes institutionnelles, de contrôle et de régulation des sondages politiques, sera impulsé par l’Etat. Mais, il devra être mené dans le cadre d’une large concertation qui impliquera tous les acteurs concernés : partis politiques, sociétés de sondage, opérateurs télécoms, consommateurs, journalistes, juristes, experts statisticiens, sociologues, etc. A l’image de ce qui se fait dans tous les pays démocratiques, elle exigera de tous les organismes sondeurs, la publication pour chaque sondage politique, d’une notice technique qui précisera:

  1. l'objet du sondage,
  2. la méthode selon laquelle les personnes interrogées ont été choisies,
  3. le choix et la composition de l'échantillon,
  4. la méthode de redressement des échantillons,
  5. les conditions dans lesquelles il a été procédé aux interrogations,
  6. le texte intégral des questions posées,
  7. la proportion des personnes n'ayant pas répondu à chacune des questions,
  8. les limites d'interprétation des résultats publiés,
  9. la méthode utilisée pour en déduire les résultats de caractère indirect qui seraient publiés.

En procédant à ces importantes réformes, notre pays s’alignera sur les grandes démocraties. Aux Etats-Unis, le National Council on Public Polls (Conseil national de Sondages Publics) a été créé en 1969 pour imposer « les standards professionnels les plus élevés et promouvoir la compréhension, parmi les politiciens, les médias et le grand public, de la façon dont les sondages sont réalisés et comment les interpréter ». La Grande Bretagne a créé le British Polling Council. En Europe, a été créée en 1949, l’association professionnelle ESOMAR, avec un code international d’autorégulation qui se fixe comme objectif : «Définir les règles déontologiques que les professionnels des études de marché doivent respecter, Favoriser la confiance du public envers les études de marché en soulignant les droits et les mesures de protection dont il bénéficie en vertu de ce Code, Protéger la liberté qu’ont les professionnels des études de marché de rechercher, recevoir et transmettre les informations conformément à l’article 19 du Pacte international de l’ONU relatif aux droits civils et politiques,…».

En définitive, à l’absence de ces mécanismes d’information, de contrôle et de régulation, il reviendra aux acteurs politiques, aux observateurs et aux citoyens, d’analyser et d’interpréter avec discernement, les résultats de la série de sondages politiques, qui seront diffusés durant les 17 mois qui nous séparent de la Présidentielle de 2012, malgré l’existence d’une loi d’interdiction. Aux militants des partis politiques membres de Bennoo Siggil Senegaal, submergés dans leurs réflexions par une prolifération d’analyses politiques relatives aux stratégies d’alliance pour 2012, je partage cette lumineuse pensée du stratège chinois Sun Tzu: « Ce qui, donc, est la plus haute importance dans la guerre, c'est de s'attaquer à la stratégie de l'ennemi. Le mieux ensuite, c'est de lui faire rompre ses alliances. Ne laissez pas vos ennemis s’unir. Examinez la question de ses alliances et provoquez-en la rupture et la dislocation. Si un ennemi possède des alliés, le problème est grave et la position de l'ennemi est forte; s'il n'en a pas, le problème est mineur et sa position est faible ».

Alioune SARR

Ingénieur Informaticien

Coordonnateur de l’Alliance Nationale des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

1 : CATI : Computer-Assisted Telephone Interview

2 : CAWI : Computer-Assisted Web Interviewing

3 : Wakh Sa Khalat : Emissions interactives des radios de la bande FM au Sénégal

lundi 5 juillet 2010

Sénégal: Télécoms: Contrôle des Communications Téléphoniques : Enjeux et Menaces sur la Sécurité et les Libertés: Défis et Contrôle Public et Citoyen.

Les télécommunications constituent au Sénégal un secteur dynamique qui contribue de manière significative à l’amélioration de la productivité de l’économie, à la simplification de la communication des citoyens et à la création de richesses nationales. Pendant dix ans, le secteur a connu une croissance exceptionnelle avec un taux annuel moyen de 18,8% [1]. En 2009, malgré la crise financière internationale, le taux de croissance y était de +3,8% et il a contribué directement pour une valeur de 408,4 milliards de Fcfa à la formation du Produit Intérieur Brut (PIB) évalué à 5.985,3 milliards de Fcfa, représentant ainsi 6,8% de la richesse nationale [1]. La téléphonie mobile est la locomotive du secteur, avec les services d’interconnexion et la balance des communications internationales. Au mois de mars 2010, le parc d’abonnés au mobile s’élève à 7.239.903 abonnés soit 59,48% des sénégalais. Ce marché florissant du mobile est dominé par l’opérateur historique Sonatel avec 64,1% de part de marché suivi par Tigo (32,8%) et Sudatel (3,1%). Cette forte croissance du secteur télécoms, attire de nouveaux acteurs, attise des convoitises et soulève d’importants enjeux économiques et sociaux mais aussi politiques.

Le contrôle de certains segments de la chaîne de valeur est remis en cause par le régulateur. C’est le cas des communications téléphoniques internationales, qui constituent une niche rentable à forte croissance. En 2003, le trafic international à l’arrivée au Sénégal était de 400 millions de minutes contre 76 millions au départ [2], soit un solde positif net de 324 millions de minutes. En 2006, ce trafic international à l’arrivée a explosé pour atteindre 782 millions de minutes [2]. Comment se calculent les taxes issues du trafic international ? Selon la réglementation internationale de l’IUT, pour chaque communication internationale, l'opérateur de télécoms d'origine applique une taxe aux usagers, appelée taxe de perception ou tarif. A cette taxe s'ajoute une deuxième taxe, à savoir, la taxe de répartition qui correspond au prix payé par l'opérateur d'origine pour faire aboutir l'appel. Cette taxe est négociée bilatéralement entre l'opérateur d'origine et l’opérateur de destination et est liée, au coût des installations de bout en bout de l'opérateur. Les taxes de répartition sont généralement libellées en dollars des Etats-Unis ou en droits de tirage spéciaux (DTS). L'exploitant d'origine et l'exploitant de destination partagent habituellement par moitié (50% chacun) la taxe de répartition pour déterminer le montant pour excédent de trafic que doit payer l'exploitant d'origine pour faire aboutir son trafic; cette taxe est appelée quote-part de répartition. Pour ce cas du Sénégal en 2003 qui a enregistré un excédent net de 324 millions de minutes, avec une taxe de répartition qui serait fixée à deux unités, les opérateurs télécoms auraient reçu des opérateurs étrangers une quote-part de répartition de 324 millions de dollars pour acheminer leurs appels, soit un dollar pour chaque minute de solde net ! A l’évidence de tels chiffres aiguisent beaucoup d’appétit !

En raison de ces énormes enjeux financiers, mais aussi d’incertitudes avouées par les autorités publiques sur le volume réel du trafic international, le Président de la République a signé le décret numéro 2010-632 le 28 mai 2010, instaurant au Sénégal, un système de contrôle et de tarification des communications téléphoniques internationales entrant au Sénégal. A travers ce décret qui modifie le contexte d’exploitation des télécoms, l’Etat s’est fixé une double mission de contrôler le trafic international et d’instaurer une nouvelle tarification et un objectif financier très ambitieux, de pouvoir collecter 270 milliards de Fcfa en cinq ans, soit 54 milliards de Fcfa par an représentant 10% du chiffre d’affaires annuel du secteur. D’où sont tirés ces chiffres prévisionnels sur le seul segment des communications téléphoniques internationales où à priori, les autorités sont dans le doute au point d’avoir besoin de créer un observatoire ? Notons que dans la lettre de politique sectorielle des télécommunications signée en janvier 2005 [3], l’Etat du Sénégal s’est fixé deux objectifs essentiels : « renforcer la position du Sénégal comme pôle d’excellence dans les télécommunications et carrefour préférentiel pour le développement de services de télécommunications dans la sous région» et « veiller à la prise en compte des questions liées à la sécurité et à la souveraineté nationale ». L’application de ce décret risque de compromettre ces deux objectifs, si certains défis ne sont pas levés et des réformes opérées:

Þ Le défi de la transparence et de la bonne gouvernance dans l’attribution des licences : conformément à la lettre de politique sectorielle du secteur des télécommunications pour une régulation efficace fondée sur la transparence, les actions de l’Artp devront être inscrites dans une démarche qui s’appuie sur des procédures de consultation et de concertation entre l’Etat, les acteurs du marché et les associations de consommateurs et sur un respect strict des procédures prévues par le code des marchés publics. Le tollé public soulevé par le choix de Global Voice, ne confirme pas le choix d’une telle démarche,

Þ Le défi de la compétitivité de la destination Sénégal dans le routage des appels téléphoniques : sans une harmonisation sous régionale des tarifs des communications téléphoniques internationales à l’arrivée, cette nouvelle taxe instaurée par ce décret pourrait favoriser le contournement du Hub Sénégal par les opérateurs étrangers vers des sites plus attractifs,

Þ Le défi de la conformité avec la réglementation internationale de l’Iut: Pour garantir la pérennité d’un tel système, l’Etat du Sénégal doit harmoniser avec l’IUT qui travaille actuellement sur une réforme du système international des taxes de répartition, avec les travaux de sa commission d'études du secteur de la normalisation des télécommunications,

Þ Le défi de la compétitivité des opérateurs de télécoms au Sénégal, lors des négociations bilatérales sur les taxes de répartition avec la présence du 3ème acteur Global Voice qui implique un « ménage à trois » dont le mode de collaboration devra être bien défini pour éviter des dysfonctionnements,

Þ Le défi de la sécurité et du respect de la vie privée des citoyens avec l’accès, l’exploitation et le contrôle des informations sur les communications téléphoniques internationales par l’opérateur privé Global Voice,

Þ Le défi de la modernisation technologique et de l’innovation: pour éviter que les usagers de la diaspora basculent massivement vers les solutions de la téléphonie sur IP (Skype, Google Phone), les opérateurs de télécoms devront poursuivre une politique de modernisation de leurs réseaux, d’innovation et de qualité dans les produits et services proposés.

Au-delà de ces défis à lever, une analyse prospective pousse à la sérénité et à la prudence si on observe attentivement l’évolution de la croissance du secteur des télécoms ces treize dernières années. En effet, d’un taux de croissance moyen de 18,8% entre 1997 et 2007, le secteur s’est effondré à 7% en 2008, puis à 3,8% en 2009. L’une des explications serait la saturation de la téléphonie mobile sur le marché sénégalais. L’autre raison serait l’essoufflement voire l’inadaptation du modèle économique des opérateurs dans un environnement évolutif et fortement concurrentiel. Ces chiffres de la Direction de la Prévision et de la Statistique (DPEE), illustrent bien une fragilité du secteur des télécoms qui, en raison de son poids dans l’économie nationale et de ses impacts dans tous les secteurs socio-économiques, nécessite la mise en œuvre d’une stratégie hardie de redressement qui pourrait se décliner en trois axes. Le premier axe stratégique : un projet industriel et social moderne et innovant des opérateurs télécoms qui propose des services à très forte valeur ajoutée avec des contenus sur les mobiles et qui favorise l’émergence de nouveaux acteurs comme les opérateurs mobiles virtuels (MVNO[4]) ; le projet social des télécoms devra permettre l’épanouissement des employés, respecter les principes démocratiques et de bonne gouvernance et soutenir des actions sociales dans des secteurs prioritaires de l’économie nationale avec le développement de plateformes publiques de télémédecine et de téléenseignement. Le second axe stratégique : un mode de régulation publique réactualisé et renforcé qui garantit une concurrence saine et loyale, en restant équidistant de tous les acteurs avec la mise en place d’institutions et de structures pour surveiller ce nouvel environnement des télécoms avec des pouvoirs de réglementation, de contrôle mais surtout de sanction. Le troisième axe stratégique : la mise en place de structures et mécanismes de contrôle public et citoyen, pour protéger les libertés publiques et garantir la protection de la vie privée des citoyens :

Þ Audit technique pour détecter et neutraliser toutes les infrastructures d’écoutes illégales hors du champ des opérateurs légalement installés,

Þ Audit des activités de l’opérateur de contrôle Global Voice : technique, organisation, sécurité, etc.

Þ Campagne nationale de sensibilisation des citoyens sur leurs droits, sur les obligations des opérateurs de télécoms à respecter la vie privée des citoyens et sur les dispositions pénales qu’ils encourent en cas de violation, comme la remise à des tiers de leurs numéros de téléphones sans leur consentement, ou leur mise sous écoute sans une autorisation légale ou administrative,

Þ Activation ou création d’une commission interministérielle dirigée par un Magistrat, pour contrôler toutes les écoutes téléphoniques judiciaires intervenues autorisées par des commissions rogatoires,

Þ Activation ou création d’une commission nationale indépendante de contrôle des écoutes téléphoniques sécuritaires, composée de parlementaires appuyés par des experts. Ces deux structures de contrôle des écoutes téléphoniques, doivent être soumises aux exigences du secret de défense et confiées à des personnalités hors de tout soupçon, choisies pour leur intégrité et rigoureuses quant au respect des principes républicains,

Þ Mise en place d’une commission nationale d’audit et de contrôle des activités de télécoms composée de : parlementaires, journalistes, experts indépendants, représentants du gouvernement, des partis politiques, de la société civile, etc.

Þ Evaluation régulière des activités télécoms par la commission nationale de contrôle et présentation annuelle des conclusions dans une séance publique au parlement.

En définitive, le secteur des télécoms continuera à être rentable et à forte croissance pendant de longues des années encore si des stratégies de réformes audacieuses sont mises en œuvre. Les prévisions de l’Etat du Sénégal de collecter 54 milliards de Fcfa par an sur le seul segment de la balance des communications téléphoniques internationales paraissent trop optimistes eu égards aux différentes contraintes internes et externes qui pèsent sur l’environnement. Pourtant l’Etat du Sénégal qui depuis 2005, encaisse chaque année 130 milliards de francs de taxes diverses, pouvait bien utiliser le levier fiscal pour opérer un prélèvement supplémentaire de revenus tirés du secteur des télécoms. Ensuite il se pose l’opportunité de placer cette réforme dans une perspective de se priver éventuellement d’un don de 270 milliards de FCfa, dans une économie qui connaît un déficit budgétaire structurel annuel de plus de 3%.

Mais encore, le développement exceptionnel des télécommunications, a aussi favorisé la prolifération de systèmes légers d’écoute et de localisation des citoyens, avec la généralisation des outils de géolocalisation dans les ordinateurs et dans les téléphones multimédias et l’apparition de simulateurs de réseaux mobiles appelés IMSI Catcher[5] qui interceptent illégalement les communications mobiles des citoyens. En plus, lorsqu’ils sont combinés à des solutions de Datawarehouse [6], ces outils permettent des croisements sur les données des appels téléphoniques des usagers, pour tisser une toile des relations de l’abonné avec en plus la localisation exacte de ses interlocuteurs. Autrefois sous le contrôle de l’Etat souverain, aujourd’hui ces instruments de surveillance des communications mobiles sont accessibles, et parfois vendus sur internet. Pour se prémunir, l’Etat devra s’équiper de systèmes sophistiqués de détection de ces systèmes clandestins d’écoute présents sur le territoire national. La justice et les structures de régulation devront veiller au respect du code des télécommunications et lutter contre les écoutes téléphoniques illégales. Les citoyens devront veiller à protéger leurs libertés publiques, à travers des actions citoyennes voire même des procès collectifs intentés contre les acteurs du secteur des télécoms, qui auraient enfreint les règles de respect de la vie privée, comme par exemple, la remise non autorisée à des tiers, des répertoires téléphoniques mobiles ou une mise sous écoute sans autorisation judiciaire ou administrative. Enfin, le décret numéro 2010-632 du 28 mai 2010 permet à un opérateur privé à capitaux étrangers, Global Voice, l’accès et l’exploitation des informations sur toutes les communications téléphoniques internationales au Sénégal, dont celles relatives à la valise diplomatique et à la défense nationale. Sous ce regard, il pose un problème de sécurité publique et de souveraineté nationale, qui doit être cerné pour préserver et renforcer au Sénégal, un Etat républicain et démocratique garantissant la liberté de ses citoyens. Pour toutes ces raisons, une vigilance publique et citoyenne s’impose !

Alioune SARR

Ingénieur Informaticien

Coordonnateur de l’Alliance Nationale des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

1 : Sources : Situation Economique et Financière en 2009 et perspectives en 2010-DPEE

2 : Observatoire de l’Agence Régulation des Télécoms et des Postes (ARTP) au 31 mars 2010 et rapport d’activités de la Sonatel en 2006

3 : Lettre de politique sectorielle du secteur des Télécoms au Sénégal – Janvier 2005

4 : MVNO : Mobile Virtual Network Operator

5: IMSI : International Mobile Subscriber Identity.

6 : Datawarehouse : Entrepôt de données désigne une base de données utilisée pour collecter, ordonner, journaliser et stocker des informations provenant de base de données opérationnelles et fournir une aide à la décision.