dimanche 26 décembre 2010

Fiabilité du Processus électoral et Veille Post Audit: Urgences, Missions et Méthodes Proactives

A son Excellence Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal.

Monsieur le Président,

Le 3 avril 2010, à la veille de la célébration du 49-ème anniversaire de l’accession de notre pays à l’indépendance, dans un discours adressé à la Nation, vous déclariez « (…) J’ai demandé à l’Union européenne et à la France de nous envoyer des experts pour tester le fichier électoral et mettre en place, avec nous, pouvoir et opposition, un Comité de veille permanent pour le surveiller jusqu’aux prochaines élections de 2012 ». Les partenaires du Sénégal que vous aviez solennellement sollicités ont répondu favorablement à votre appel, l’audit du processus électoral a démarré le 13 octobre 2010 et s’achèvera le 31 décembre 2010. Les experts indépendants de la mission, présenteront le 13 janvier 2011, le rapport général sur l’audit du processus électoral, qui comprendra les observations, les conclusions et les recommandations pour améliorer l’intégrité, la fiabilité et l’efficacité du processus et du fichier électoral constitué à ce jour de 4.917.160 électeurs. Comme tous les démocrates, nous attendons de prendre connaissance des résultats officiels de cette importante mission.

La révision des listes électorales démarre le 3 janvier 2011. Conformément à votre proposition, le comité de veille doit surveiller cette étape cruciale du processus électoral. Il est souhaitable que le décret de sa création soit signé et promulgué avant le 3 janvier 2011, pour lui permettre d’être opérationnel et veiller sur le processus électoral dans le strict respect des lois et des règlements du Sénégal. De la même façon, la mise en œuvre effective des recommandations issues de l’audit, ne saurait se faire sans une modification de certains articles du code électoral. Ainsi, il est urgent que le parlement soit convoqué en procédure d’urgence, pour modifier la loi électorale et intégrer les recommandations issues du rapport officiel de la mission d’audit qui sera présenté le 13 janvier 2011 ainsi que tous les autres points d’accord entre les partis politiques. Sous ce regard, un consensus devra être trouvé entre les acteurs politiques, pour le démarrage des travaux de révision du code électoral. Sans la prise en compte de ces urgences, les actions du comité de veille risquent d’être compromises ou frappées d’illégalité et ainsi, faire l’objet de contestations politiques.

Le comité de veille sur le processus électoral est une innovation qui vient renforcer l’arsenal de surveillance de notre système électoral. De toute évidence, il ne sera utile à la Nation, que dans sa capacité à réconcilier tous les acteurs politiques avec le processus électoral, à contribuer à une mise en œuvre effective des recommandations de l’audit, et à travers des propositions innovantes à l’image de la mission d’audit, de contribuer de manière significative à l’amélioration de l’intégrité, de la fiabilité et de l’efficacité du processus électoral. Ainsi, dans sa mission, le comité de veille produira de manière périodique, méthodique et proactive des recommandations argumentées sur toutes les étapes du cycle électoral: l’adéquation du cadre légal; l’adéquation des procédures électorales et des préparatifs ; la délimitation des circonscriptions électorales; l’inscription des électeurs; les programmes d’information et d’éducation des citoyens; l’enregistrement des partis politiques et des candidats; la liberté d’assemblée et de mouvement des partis politiques; la liberté d’expression et l’accès équitable aux médias; l’utilisation des ressources publiques pour fins de campagne; les activités du jour de l’élection; le dépouillement des votes et la compilation des résultats; l’existence de procédures impartiales appropriées pour déposer des plaintes, et de procédures de règlement légitimes relativement aux résultats des élections. Pour réussir cette mission de surveillance, les recommandations consensuelles adoptées par le comité de veille devront aussi être mises en œuvre de manière effective.

A travers la création du comité de veille, l’Etat du Sénégal décide de Co-surveiller avec les partis politiques et la société, une information stratégique pour la sécurité, l’intégrité et la stabilité de la Nation : l’information électorale. Par ce dispositif, notre pays se dotera d’une intelligence électorale collective et consensuelle, à l’image des grandes démocraties qui, après avoir stabilisé leurs processus démocratiques, ont construit des intelligences économiques, sociétales, politiques, juridiques ou technologiques. Dans la mise en œuvre du comité de veille, peuvent être des sources d’inspiration les meilleures pratiques dans les systèmes d’informations électorales et les travaux réalisés dans le domaine de la veille stratégique de l’information (Environmental Scanning), que le Professeur émérite Humbert LESCA, docteur d’Etat en management stratégique de l'information à l’université de Grenoble, définit comme, comme « un processus informationnel volontariste par lequel l’organisation se met à l'écoute anticipative ou prospective des signaux précoces de son environnement socio-économique dans le but créatif d'ouvrir des opportunités et de réduire les risques liés à son incertitude».

En nous appuyant sur les travaux de ce chercheur et les expertises dans la veille technologique, nous pouvons distinguer quatre principales tâches de veille sur le processus électoral au Sénégal :

1-Le ciblage de la veille sur le processus électoral, qui consistera à déterminer les acteurs et les activités à surveiller ainsi que les sources d’informations à mettre en œuvre. L’objectif du ciblage, sera de définir la cartographie du processus électoral composée de trois documents dont le premier est un tableau à deux entrées avec en lignes, les acteurs du processus électoral: Commissions administratives, Direction des opérations électorales, Direction de l’Automatisation du fichier, CENA, Tribunaux départementaux, Conseil Constitutionnel ; en colonnes leurs activités : Inscriptions, Modification, Enregistrement numérique, Contrôle, Production, Distribution des cartes d’électeurs, Ramassage des procès verbaux, Validation du vote, Gestion du contentieux. Le deuxième composant de la cartographie, est la liste des sources d’information à scruter : listes électorales, registres des opérations de révision électorale, Listes d’émargement, Bases de données du fichier électoral de la DAF et/ou de la CENA, Procès verbaux détenus par les membres de bureaux de votes, Rapports des cours et tribunaux. Le troisième et dernier composant de la cartographie électorale : la liste des mots clés qui permettront de déclencher des recherches d’informations : Inadéquation avec le cadre légal, Inscription multiple, Mauvaise référence d’un bureau de vote, Invalidation d’une inscription, Invalidation d’un vote.

2-La traque des informations est l’opération proactive par laquelle le comité de veille se procure des informations de veille stratégique sur le processus électoral. Les informations peuvent être obtenues dans les locaux du Ministère de l’Intérieur ou de la CENA (traqueurs sédentaires) et sur le terrain (traqueurs mobiles) dans les commissions administratives, dans les bureaux de vote ou dans les tribunaux administratifs. Pour harmonier la collecte des informations, les traqueurs disposent de fiches de captage normalisées, en papier ou sous forme d’une simple feuille Excel ou Word.

3-Traitement, circulation et remontée des informations est l’opération par laquelle un traqueur fait parvenir ses informations de veille électorale au comité de veille, en l’occurrence au Président du comité, qui devra les stocker dans un lieu sécurisé et constituer une base de connaissances électorales pour établir les rapports, les avis et les recommandations. Ces informations collectées seront mises en commun et rendues accessibles aux membres du comité de veille, aux citoyens, et aux principaux acteurs du processus électoral : Ministère de l’intérieur, CENA, partis politiques et la société civile.

4-Animation du comité de veille : le comité de veille ne doit pas être un comité amorphe et inactif. Il devra être proactif. Le président du comité sera un coordonnateur de tâches, connaisseur des questions électorales, et stimulera l’action des membres ainsi que leur créativité.

Quasiment, toutes les informations nécessaires à la cartographie électorale existent au Ministère de l’Intérieur. A titre d’illustration : le comité de veille pourrait surveiller le système d’inscription des électeurs dans les commissions administratives, à travers l’observation de ces trois indicateurs de performance : l’exactitude qui indique que les renseignements sur l’électeur ont été inscrits sur la liste électorale correctement, l’exhaustivité qui exprime que la proportion des électeurs dans les registres des commissions administratives sont réellement inscrits sur les listes électorale, l’actualité qui indique que le jour de l'élection, les renseignements relatifs à un électeur sont conformes à la situation actuelle. Les taux couramment admis pour ces indicateurs dans les processus électoraux stabilisés sont respectivement de 90%, 97% et 85%.[1] Ces taux expriment que neuf citoyens admis dans les commissions administratives sur 10 seraient inscrits sur la liste électorale; des erreurs à la saisie de données pourraient se produire dans trois inscriptions sur 100 et dans huit cas et demi sur 10, les renseignements seraient à jour le jour de l’élection. Avons-nous atteint de tels objectifs de performance ?

Sans un tel dispositif de surveillance, le comité de veille risque d’être un haut lieu de philippiques stériles, alors qu’il doit être une source d’informations de pilotage du processus électoral. En attendant les recommandations de la mission d’audit, le comité de veille pourrait s’autosaisir dès son installation, de deux dossiers qui constituent une entorse à la fiabilité et à la sécurité du processus électoral: le premier figure dans tous les rapports d’observation de la CENA et n’a pas encore trouvé de solution: la gestion des 145 bureaux de vote sous abris provisoires de Samelah à Touba, soit près de cent mille électeurs qui votent presque en plein air le jour des élections, dans des conditions d’extrême difficulté. Le Ministère de l’Intérieur y gère difficilement la logistique électorale, la CENA et les partis politiques y contrôlent difficilement le vote et il arrive qu’un électeur y passe la journée à rechercher en vain son bureau de vote ! Il est évident que toutes les conditions d’un vote fiable, sécurisé et transparent n’y sont pas réunies.

En raison du poids politique et électoral de Touba, le comité de veille, en collaboration avec les services du Ministère de l’Intérieur, les autorités religieuses et politiques de Touba et les partenaires impliqués dans le processus électoral, pourra proposer des solutions urgentes pour Samelah, à l’image de celles mises en œuvre avec l’Union Européenne en Cote d’Ivoire, où plus de 3.200 bureaux de votes mobiles ont été fabriqués dans le cadre de l’élection présidentielle du 31 octobre 2010. Le second dossier urgent est la gestion du stock des cartes d’électeurs et des cartes d’identité numérisées qui sont en souffrance dans les sous-préfectures et préfectures depuis 2007. D’autres dossiers aussi urgents pourront être tirés des recommandations faites par la CENA depuis 2007 : éviter comme en 2007, que les bulletins de vote de Candidats à l’élection présidentielle soient absents ou inversés dans des bureaux de vote à Dakar et à Thiès; éviter comme en 2009, que le vote soit annulé dans certains lieux de vote dans la région de Kolda, à Ndorna, à Kandiaye ou à Kandia où le matériel électoral et les bulletins de vote étaient arrivés après 18H et le vote autorisé par arrêté de l’autorité administrative en l’absence des représentants des partis politiques.

Par ailleurs, il serait souhaitable que le décret de création du comité de veille qui sera soumis à votre signature, tienne compte de ces différentes tâches ainsi que des contraintes évoquées sur le processus électoral. Dans ses prérogatives, le comité de veille devra disposer de toutes les sources d’informations nécessaires à sa mission de cartographie électorale. Sans doute, il ne manquera pas des séides politiques, prêts à dénaturer le décret, à banaliser le comité de veille pour l’éloigner de ses objectifs, d’être une structure trans-partisante de propositions et de surveillance du processus électoral. D’autres plus subtils, adeptes du statu quo, tenteront de vous convaincre à l’idée que le comité de veille a pour unique mission de «veiller seulement à la mise en œuvre des recommandations de l’audit», tâche que n’importe quel étudiant de 1ème année pourrait bien faire.

Tous ceux là, font semblant d’oublier que l’absence d’accord et de consensus politique entre le pouvoir et l’opposition, et l’existence dans le processus électoral de maillons faibles non résolus, déjà à l’origine du boycott par l’opposition des élections législatives de juin 2007, sont à l’origine de l’audit du processus électoral et de la création du comité de veille. Si par malheur, ces séides politiques arrivaient à leurs fins, le comité de veille dépouillé de sa substance initiale, aura perdu toute la consistance et la crédibilité qui lui auraient permis d’assurer convenablement sa mission de veille, de proposition et de surveillance du processus électoral, voire même, de médiation en cas de crise électorale. Dans ces conditions, les démocrates et les républicains sénégalais, n’auront plus comme seul recours, que la mobilisation du peuple durant les moments électoraux, pour protéger l’expression de sa volonté et préserver au Sénégal une République démocratique.

Dans l’espoir que ce comité de veille permette d’améliorer l’intégrité, la fiabilité et l’efficacité du processus électoral, Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l'expression de mes respectueuses salutations.

Alioune SARR

Coordonnateur des Cadres de l’AFP

aliounesarr99@gmail.com

http://aliounesarr.blogspot.com/

[1] : Sources Nations Unies, par Harry Neufeld Conseiller en matière d'administration électorale